samedi 5 août 2023

Au grand air

 

" Me voici dans un lieu sacré, un sacré disparu. Les statues des divinités se sont désengagées du culte et du commerce avec l'espèce humaine. Il est resté une grandeur qui ne dépend pas de la fumée des autels. Elle ne sont pas en exil, elles sont réunies en assemblée à l'intérieur du musée, par opposition au dieu exclusif et unique du monothéisme. Plus anciennes que sa révélation, elles conservent un sentiment de supériorité envers l'ultime divinité arrivée, qui leur fit le tort de les ignorer. Elles n'éprouvent aucun ressentiment. Elles ont été honorées par les poètes, des philosophes, des dramaturges, des mosaïstes et des sculpteurs. Elles ont parlé les langues savantes, le grec et le latin, en habitant les entrailles des volcans, les sommets enneigés, les fonds marins. Elles ont habités le monde, pas le ciel."*



 Quelque part, entre le ciel, la mer et quelques îlots incertains, vestiges  vacillants de lointaines éruptions, Platon l'Ancien, demeuré jeune et sentimental, accompagné de Daemon, recueillent Platon, le petit chien dont la queue est encore fumante.
Ne croyez pas que cette sensibilité fut un obstacle pour s'adapter à la rudesse masquée de la vie au grand air. Et s'il a le goût du risque, rien n'est plus haïssable pour lui qu'une fuite. Et s'il exprime avec quelque grandiloquence:

– Ce qui se passe ici n'est rien qui puisse être apparenté à une fuite!

Il n'a aucune illusion sur la faiblesse de ses propres convictions... qui le fait immédiatement corriger la forme et donc le fond...

– Tout cela n'est qu'apparence et ce qui "se" passe ici ne devrait pas être apparenté à une fuite! Après tout, il se pourrait que seule importe la main qui se pose sur du vivant...

La petite hésitation de Platon, qui est le fruit de la présence du "se", suffirait à démontrer ce qui précède si le temps ne nous était compté... et que le mouvement qui anime les choses se ferait de lui-même... 

– Aux yeux de certains, il est naturel que je paie d'une sorte de folie, le sombre sentiment de l'inutilité de chaque chose... et le lumineux espoir qu'un jour, peut-être, je comprendrai un tout petit peu..

Si la main a pris de l'importance à ses yeux... il ne cesse pas pour autant de penser. 

– Quelque chose me dit que la pensée et le geste pourraient ne faire qu'un...

Aussitôt la situation lui apparait dans sa froide vérité. Une vérité qui ne dépend pas entièrement et seulement de lui. C'est alors que lui vient à l'esprit la question suivante: 

– Ne devraient-ils pas "nous" plaindre ?

Un petit détail, vraiment minuscule pourrait exciter l'imagination, le cogito du lecteur: il parle de nous... ou du moins le dit.
Le plaindre? Nullement. Lui être reconnaissant peut-être...
Reconnaissant de nous montrer, parfois, un certain art, une certaine délicatesse, de demeurer, un peu, le plus loin possible de tout ce qu'il exècre, et de rester lucide au sein même de l’action. 
Il serait vain de dire qu'il ne regarde jamais en arrière tant lui est chevillé à l'esprit que :

– Le passé et le futur ne sont qu'une seule et même facette qui constitue l'envers du présent.



* La nature exposée, Erri de Luca, Gallimard

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