samedi 6 juillet 2024

Écho



« Vous voyez donc que le trait d esprit de ignorant ou du naïf, de celui dont j'emprunte le mot pour en faire un mot d'esprit, est cette fois-ci entier, si l'on peut dire, au niveau de l'Autre. Je n'ai plus besoin de provoquer chez l'Autre rien qui constitue la coupe solide, elle m'est déjà toute donnée par celui de la bouche duquel je recueille le mot précieux dont la communication va constituer un mot d'esprit, et que j'élève ainsi à la dignité de maître-mot par mon histoire. En somme, toute la dialectique du mot d'esprit naïf tient dans la partie bleue du schéma. Ce qu'il s'agit de provoquer chez l'Autre dans l'ordre imaginaire pour que le mot d'esprit dans sa forme ordinaire passe et soit reçu, est ici tout constitué par sa naïveté, son ignorance, son infatuation même. Et il suffit simplement que je l'aborde aujourd'hui pour faire passer cette bourde au rang de mot d'esprit, en la faisant homologuer par le tiers, le grand Autre, auquel je la communique.
La promotion de l'autre imaginaire dans cette analyse des métonymies, dans la satisfaction qu'il trouve pure et simple dans le langage, et qui lui sert à ne même pas s'apercevoir à quel point son désir est leurré, nous introduit, et c'est pourquoi Freud le met au joint du mot d'esprit et du comique, à la dimension du comique.
Nous ne sommes pas ici au bout de nos peines, car à la vérité, sur ce sujet du comique, on n'a pas manqué d'introduire quelques théories qui sont toutes plus ou moins insatisfaisantes, et ce n'est certainement pas une question vaine que de se demander pourquoi elles le sont, et aussi de formes qu'il n'y a pas moyen d'épeler ici, mais leur addition, les sortes de tomes qu'il n'y a pas moyen d'épeler ici, mais leur addition, leur suc-cession, leur historique comme on dit, ne nous mettrait sur la trace de rien de fondamental. Franchissons tout cela pour dire que, en tous les cas, la question du comique est éludée chaque fois que l'on entreprend de l'aborder, je ne dis pas de la résoudre, sur le plan seulement psychologique.»

Jacques Lacan, Le séminaire, livre V, Seuil, p.128-129





– Vous qui en connaissez presque l’entièreté, diriez-vous, au-delà de sa grossièreté et de sa naïveté que les chroniques d’Auguste forment une œuvre?
– Même en quelques fragments peut se refléter une œuvre entière. Il ne compose rien, il est. C’est en cela qu’Auguste diffère et que son cheminement chaotique, paradoxalement, offre la possibilité de nous mener vers la lumière…
La théâtralité élémentaire et enfantine, ineffablement stupide au premier abord, est un labyrinthe entre réalité et imaginaire né de lui-même, simple et complexe, tissant les époques, les intrigues*. Les personnages d’Auguste, comme autant de portraits possibles de lui-même, ne devraient point dissimuler une sorte d’authenticité sauvage. Insoutenables, les mots résonnent autrement dans sa tête. Le maelström des significations se mêle aux gesticulations excessives qui, hormis le fait qu’elles font rire la populace, n’ont peut-être pas l’air d’avoir besoin d’être là, mais qui, inlassablement nous entraînent à sortir de nos chemins luxurieusement balisés…
– Devrions-nous y voir là… comme un écho de nos propres vies?
– La nôtre peut-être pas… mais celle de ceux qui nous entendent… il se peut… cependant, de cet univers inconstitué il va falloir apprendre à s’en servir… les choses ne se font pas d’elles-mêmes… Certains pensent que la réalité nous rattrape! C’est parfaitement insensé… à aucun moment elle ne nous quitte.
– Pourquoi pas la nôtre?


Denis Podalydès interrogé par Nedjma Van Egmond à propos de la pièce de Tiago Rodrigues “Hécube, pas Hécube” jouée au festival d’Avignon (Journal Libération 4.7.2024)


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