dimanche 28 juillet 2024

Entre ciel gris et ciel bleu

 


« Les vieilles représentations du monde vacillent - en Occident comme ailleurs. L'Arbre du Monde a été déraciné, et l'indispensable unité du savoir semble désormais devoir se fonder sur la seule science, mais il s'avère que chacun, à l'écoute de ses leçons, éprouve un manque inexplicable: autrefois, entend-on dire, le monde et la vie avaient un sens, aujourd'hui, par contre, et comme le proclamait un graffiti des rues de Paris, tout est permis mais plus rien n'est possible.
Ceci nous amène à nous interroger: les religions de tout temps ne portaient-elles pas quelque chose en elles qui n'était pas illusoire, quelque chose dont l'être humain aurait réellement besoin, et dont le recours à la seule raison pratique nous prive? Notre rapport au monde et à nous-mêmes ne se fonde-t-il pas, en fait, sur cela: sur un processus difficile à saisir et encore insuffisamment articulé? Et n'est-ce pas à ce même processus qu'il incombe de nous apporter ce sentiment de valeur et de sens qui nous fait si manifestement défaut aujourd'hui?
Pouvons-nous reconnaître un tel rôle, non plus à une révélation divine, mais à un processus dont tout reste à dire - le processus de la culture? Et ne suffit-il pas de reconnaître un tel rôle à ce processus pour qu'il agisse à nouveau, comme autrefois, sans pour autant nous imposer une quelconque croyance littérale
?
Ne pourrait-on, autrement dit, envisager le réseau des finalités inhérent à chaque culture comme un langage très particulier - et qui seul permet aux êtres de se nommer, de se reconnaître et de se fixer des valeurs et des buts communs? »

Michael Francis Gibson, Ces lois inconnues, Métailié, p.14


« Fermez les yeux et alors seulement vous verrez,
quand disparaissent les attraits
 et quand émerge,
venue des obscures profondeurs,

la forme parfaite d'une idée.»


Walid L. Neil





– Quand me direz vous ce qui se passe?
– Je ne cesse de vous le dire…
– Je ne vois pas ce que vous voulez dire…
– C’est bien là le problème… Le monde que vous croyez connaître n’est qu’une illusion. Votre palais et toute votre cour… tout cela n’est que mise en scène… Votre espace était entièrement celui du chapiteau d’un cirque…
– Feriez-vous, fomentant dans mon dos, partie des complotistes et insinueriez que, loin d’être un monarque, je ne serais qu’un personnage de foire … faux aveugle de surcroît!
– C’est à peu près cela…
– Et quel serait cet à peu près?

– Je ne crois pas que vous le soyez…
– Vous pourriez penser que la vue d'un aveugle est d'une monotonie infinie.

– Vous avez raison, j’ai plein ma tête de ce que vous appelez image… Croyez vous que je sois fou?
– Loin de moi cette pensée…
– Pardonnez-moi … mais..tout cela a-t-il un sens?
– Il se peut… il est à peu près certain que le sens ne soit pas celui que vous croyez…

– Avons-nous quitté ce cirque que vous prétendez être mon palais?
– Vous imaginez ce qui n'est pas imaginable.
– Un peu comme vous…
– Qui sait?
– Où sommes nous et quel temps fait-il?
– Un ciel gris et nu obscurcit notre regard, certes, mais l'image est trompeuse, vous devriez le savoir. Sous votre ciel si bleu est un spectacle qui vous apparait durant des heures, des jours entiers, des mois jusqu'à votre dernier souffle sans que jamais le moindre doute vous effleure à propos de sa vraie nature. Nos yeux de voyageur parcourent les immensités de notre planète en croyant voir ce qu'en réalité ils produisent d'eux-mêmes. La matière avec laquelle ces images sont faites est la même pour tout le monde. Elle l'est aussi pour moi. Simplement, nous la recomposons de manières différentes. Devant vous, derrière vous, autour de vous, aussi loin que porte votre regard, dans ce monde merveilleux ou nous sommes enfermés…
– Pour moi, rien ne limite l'horizon. Mais tout près de moi, en travers de mes pieds se dressent ce qui me fera tomber et que je ne saurais voir.



– Donnez-moi votre main, Monsieur. Il faut que désormais je vous appelle ainsi, pour ne point éveiller de soupçons. D'une main légère, attentive et réactive, mettez votre bâton par devant vous, balayez à gauche et à droite en veillant à ne point me frapper ou m'écraser. Écoutez ce qu'il vous transmet et en peu de temps vous saurez de vous-même imaginer ce qu'il rencontre. Dans peu de temps, je vous le promet, vous verrez vraiment de quoi il s'agit...



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