mercredi 31 juillet 2024

Un monde infini

 


« Une fois mise de côté le théorie stoïcienne et origénienne, selon laquelle la pluralité des mondes se réalise dans une succession temporelle, l'attention de Gassendi se concentre sur ces philosophes qui croient que plusieurs mondes existent au même instant. L'expositon de leurs doctrines et leur réfutation s'organise selon les démarches suivantes: on trouve tout d'abord la description de l'hypothèse de la pluralité des mondes. De nombreux philosophes, et parmi eux Plutarque, sont de l'avis qu'il existe plusieurs mondes et que cette structure cosmologique témoigne du déploiement de la providence divine. Gassendi analyse ensuite la théorie de l'infinité des mondes:
Héraclide, Pythagore, les disciples d'Orphée et, parmi les modernes, Giordano Bruno, soutiennent que les mondes sont infinis et qu'ils communiquent entre eux ; d'autres, comme Anaximène, Xénophanes et les atomistes, croient qu'ils sont séparés, mais semblables au nôtre. Les Écritures nous attestent, en revanche, que notre monde est unique, ce qui est d'ailleurs confirmé par de nombreux philosophes.»


 
 
– Dites-moi compagnon, hormis le fait que tout me parait grandiose, tout me parait étrange... pourriez-vous me dires où nous sommes?
– Je crois, Monsieur, comme le disent les philosophes, que ce monde est infini…
– Voulez-vous dire par là qu’il n’est point fini..?
– Fort heureusement…
Celui qui fut Roi ne se doute de rien... il ne sait dans quel monde il vit…
 
 

Comment pourrait-il imaginer, lui dont les yeux ne s’ouvrent point, que ce voyage se déroule sur les lieux-mêmes de ce qu'il croit être son palais.

 

Sur ces hauteurs

 

“Akram cherchait avec ardeur, depuis toujours, la connaissance véritable. Il arriva un jour chez un sage qui savait les secrets de la vie. Akram demanda que lui soient révélés les mystères. Le sage dit simplement:
« Les choses importantes d'abord, et une seule chose à la fois. »
Pendant des années, Akram servit le maître en tout, mais la seule chose qu'il était sûr d'avoir appris, c'est qu'il y aurait un âge d'or dans plusieurs siècles.
« En ce cas, je vais me transporter dans les siècles futurs », se dit-il, car il ne pensait pas que le sage puisse faire quoi que ce soit pour lui en attendant. Akram quitta l'adepte, parcourut le monde, finit par trouver un maître plus à sa convenance : un fakir faiseur de miracles qui consentit à le faire tomber dans un sommeil de sept cents ans. Quand il se réveilla, ce fut pour se retrouver, seul, parmi les ruines de ce qui avait été, selon toute apparence, une civilisation puissante: vestiges de palais imposants, magnifiques jardins envahis par l'herbe, merveilles de toute nature éparpillées dans le paysage. Pendant des jours Akram chercha un signe de vie. Un filet de fumée lui signala enfin une présence humaine. Il découvrit une habitation. Quelqu'un se tenait tout près un derviche solitaire, farouche, vêtu d'une robe rapiécée.
« Je cherche l'âge d'or, dit Akram.
Tu l'as manqué, dit le derviche: de deux cents ans.»”


–  Je dois vous dire que malgré ma fatigue, je me sens bien, l'air est si pur sur ces hauteurs.
–  Monsieur, si je puis me permettre de vous vous le dire, nous ne sommes pas sur des hauteurs, mais dans les profondeurs… pour tout dire:… des vestiges… car votre monde est… "comme renversé"...
– Comment se fait-il que vous connaissiez si bien ce que moi j'eusse dû connaître?
– Il y a déjà si longtemps que notre famille est à votre service que nous ne savons plus rien de ce qui était avant.
– Ah ! Vous aussi vous connaissez ce qu'est le malheur de perdre la mémoire ?
– Pas du tout, Monsieur, c'est un plaisir...
– Que voulez-vous dire par "comme renversé" ?



mardi 30 juillet 2024

Architecture engloutie

 

«  La logique et la raison laissent peu de place à l’imagination
et celle-ci s’y installe non par la force… mais par ruse… 
On perd son temps à vouloir critiquer ce qui ne peut se changer.»

Walid L. Neil



– Monsieur, vous rendez-vous compte que vous êtes en train de marcher sur l'architecture engloutie de votre royaume.
– Je croyais, selon vos dires, que ce royaume n’était qu’un décor fabriqué de bric et de broc dans les coulisses d’un cirque à l’abandon… et pourtant cela fait des heures que nous marchons! Pourriez-vous me dire où nous sommes et où nous allons?
– L'endroit que je vous propose de rejoindre est profondément original. Il est le fidèle reflet des aspirations des habitants de cet endroit… Un lieu où les spectacles de la vie sont aussi divers et simples que ceux de la nature qui les entoure. Ce que vous verrez vous surprendra peut-être, mais souvenez-vous bien de ce que je vais vous dire: c'est de là que vous venez. Il me faut vous dire que votre palais s'est considérablement éloigné des assises qui furent les siennes et la difficulté que vous éprouvez à gravir ce qui fut le socle de sa splendeur ne reflète que de très loin ce que ressentent ceux qui y vivent encore.
– Où sont-ils? se cachent-ils? 
– Ils ne se cachent point… Ils se rendent invisibles…
– Pourquoi cela ?
– Ce sont des êtres doté de mémoire.
– De quoi ont-ils peur?
– De votre autorité.
– M'auraient-ils reconnu?
– Certes non, mais le moindre étranger est aussi suspect pour eux qu'il peut l'être pour vous.


lundi 29 juillet 2024

Piste

 

« Pister, donc, c'est un art de voir l'invisible pour configurer le cadre d'une authentique géopolitique. On l'a évoqué, rien de surnaturel dans ces invisibles même si chaque découverte relève d'une certaine magie, celle du pistage "qui fait lever les signes". Rien de naturel non plus d'ailleurs: justement, il ne peut y avoir de géopolitique sérieuse qui fasse référence à la Nature.
Car le terme "Nature" , même quand on l'utilise dans des circonstances aussi anodines que celles qui nous font dire "on va se promener dans la nature" n'a rien d'innocent.»

Vinciane Desprez, préface de Baptiste Morizot, Sur la piste animale, Actes Sud, p.13


 « L'application de méthodes strictement régies par la raison pure donne naissance à une dialectique aride et stérile où le cœur ne trouve aucun goût ni saveur. »

Walid L. Neil



 
Il ne fallut guère de temps à notre Roi pour s'habituer à marcher dans l'inconnu. Suivant avec grande agilité son nouveau compagnon, il fit preuve d'une capacité d'adaptation qui eut surpris la majorité de ses proches si ceux-ci eussent été au courant de ces événements.
Certes, d’innombrables questions se pressaient dans son esprit, mais son corps, retrouvant une mobilité insoupçonnée le mettait en joie et ainsi relativisait le sérieux et le tragique de son questionnement…
– Alors? Monsieur… Que pensez-vous de ce nouvel environnement?
– Est-ce là encore un décor?



dimanche 28 juillet 2024

Entre ciel gris et ciel bleu

 


« Les vieilles représentations du monde vacillent - en Occident comme ailleurs. L'Arbre du Monde a été déraciné, et l'indispensable unité du savoir semble désormais devoir se fonder sur la seule science, mais il s'avère que chacun, à l'écoute de ses leçons, éprouve un manque inexplicable: autrefois, entend-on dire, le monde et la vie avaient un sens, aujourd'hui, par contre, et comme le proclamait un graffiti des rues de Paris, tout est permis mais plus rien n'est possible.
Ceci nous amène à nous interroger: les religions de tout temps ne portaient-elles pas quelque chose en elles qui n'était pas illusoire, quelque chose dont l'être humain aurait réellement besoin, et dont le recours à la seule raison pratique nous prive? Notre rapport au monde et à nous-mêmes ne se fonde-t-il pas, en fait, sur cela: sur un processus difficile à saisir et encore insuffisamment articulé? Et n'est-ce pas à ce même processus qu'il incombe de nous apporter ce sentiment de valeur et de sens qui nous fait si manifestement défaut aujourd'hui?
Pouvons-nous reconnaître un tel rôle, non plus à une révélation divine, mais à un processus dont tout reste à dire - le processus de la culture? Et ne suffit-il pas de reconnaître un tel rôle à ce processus pour qu'il agisse à nouveau, comme autrefois, sans pour autant nous imposer une quelconque croyance littérale
?
Ne pourrait-on, autrement dit, envisager le réseau des finalités inhérent à chaque culture comme un langage très particulier - et qui seul permet aux êtres de se nommer, de se reconnaître et de se fixer des valeurs et des buts communs? »

Michael Francis Gibson, Ces lois inconnues, Métailié, p.14


« Fermez les yeux et alors seulement vous verrez,
quand disparaissent les attraits
 et quand émerge,
venue des obscures profondeurs,

la forme parfaite d'une idée.»


Walid L. Neil





– Quand me direz vous ce qui se passe?
– Je ne cesse de vous le dire…
– Je ne vois pas ce que vous voulez dire…
– C’est bien là le problème… Le monde que vous croyez connaître n’est qu’une illusion. Votre palais et toute votre cour… tout cela n’est que mise en scène… Votre espace était entièrement celui du chapiteau d’un cirque…
– Feriez-vous, fomentant dans mon dos, partie des complotistes et insinueriez que, loin d’être un monarque, je ne serais qu’un personnage de foire … faux aveugle de surcroît!
– C’est à peu près cela…
– Et quel serait cet à peu près?

– Je ne crois pas que vous le soyez…
– Vous pourriez penser que la vue d'un aveugle est d'une monotonie infinie.

– Vous avez raison, j’ai plein ma tête de ce que vous appelez image… Croyez vous que je sois fou?
– Loin de moi cette pensée…
– Pardonnez-moi … mais..tout cela a-t-il un sens?
– Il se peut… il est à peu près certain que le sens ne soit pas celui que vous croyez…

– Avons-nous quitté ce cirque que vous prétendez être mon palais?
– Vous imaginez ce qui n'est pas imaginable.
– Un peu comme vous…
– Qui sait?
– Où sommes nous et quel temps fait-il?
– Un ciel gris et nu obscurcit notre regard, certes, mais l'image est trompeuse, vous devriez le savoir. Sous votre ciel si bleu est un spectacle qui vous apparait durant des heures, des jours entiers, des mois jusqu'à votre dernier souffle sans que jamais le moindre doute vous effleure à propos de sa vraie nature. Nos yeux de voyageur parcourent les immensités de notre planète en croyant voir ce qu'en réalité ils produisent d'eux-mêmes. La matière avec laquelle ces images sont faites est la même pour tout le monde. Elle l'est aussi pour moi. Simplement, nous la recomposons de manières différentes. Devant vous, derrière vous, autour de vous, aussi loin que porte votre regard, dans ce monde merveilleux ou nous sommes enfermés…
– Pour moi, rien ne limite l'horizon. Mais tout près de moi, en travers de mes pieds se dressent ce qui me fera tomber et que je ne saurais voir.



– Donnez-moi votre main, Monsieur. Il faut que désormais je vous appelle ainsi, pour ne point éveiller de soupçons. D'une main légère, attentive et réactive, mettez votre bâton par devant vous, balayez à gauche et à droite en veillant à ne point me frapper ou m'écraser. Écoutez ce qu'il vous transmet et en peu de temps vous saurez de vous-même imaginer ce qu'il rencontre. Dans peu de temps, je vous le promet, vous verrez vraiment de quoi il s'agit...



samedi 27 juillet 2024

Une vie étroite


Méphistophélès:

- Bon, c'est un moyen qui ne demande ni argent, ni médecine, ni sortilège: rends-toi tout de suite dans un champ, mets-toi à bêcher et à creuser, resserre ta pensée dans un cercle étroit, contente-toi d'une nourriture simple:
vis  
comme une bête avec les bêtes, et ne dédaigne pas de fumer toi-même ton patrimoine;
c'est crois-moi, le meilleur moyen 
de te rajeunir de quatre-vingts ans.

Faust:

- Je n'en ai pas l'habitude, et je ne saurais m'accoutumer à prendre en main la bêche.
Une vie étroite n'est pas ce qui 
me convient.


Méphistophélès:

- Il faut donc que la sorcière s'en mêle.





– Habillez-vous, mon Maître, il est que vous quittiez votre palais et découvriez ce qui ne peut s'accepter.

– Pourquoi me parler si rudement après m'avoir tant fait saigné ?

– Une très légère égratignure… mais il n'est point temps de parler de cela. Cependant… ce moment est propice pour une chose bien plus importante…

– De quoi s’agit-il?

– Vous allez le découvrir… profitons-en. Afin de ne pas être trop voyant, emportez les habits de votre valet. Prenez cette béquille pour qu'en tout temps vous ayez un appui qui vous aidera à ne point trop boiter. Veillez à ce qu'elle ne prenne racines... Vous pourriez aussi, d'un léger coup de crayon, gommer cet air de bébé que vous avez conservé. Renoncez à votre couronne, sortez de l’étroitesse où l’on vous a enfermé et couvrez-vous le chef afin de ne point être vu de ceux et de ce que vous ignoriez.

– Seriez-vous fou?

– Moins que vous… Monsieur… Venez, il en va de votre salut.


vendredi 26 juillet 2024

Cris


LAMPITO.

– Quels sont ces cris ?

LYSISTRATA

– Ce que je vous disais tout à l'heure, ce sont les femmes qui s'emparent de la citadelle.
Toi, Lampito, va-t'en chez vous mettre ordre à ce qui vous regarde
et laisse-nous celle-ci en otage. Nous allons nous y barricader
avec les autres femmes qui l'occupent.




– Sire, écoutez mon conseil, ne vous mêlez pas de cela. Une grande part de ce qui se passe derrière le rideau qui s’est ouvert sur notre passage ne vous concerne pas plus que tout ce que vous faisiez tantôt derrière ce rideau-ci ne concernait que vous. Cependant… quelques choses clochent en votre royaume… Vous êtes… ici… selon moi, en danger…
– Que me chantez vous là? On m’attend. Et celles qui m’attendent s’impatientent tandis que je me languis et m’attriste de votre discours… Écoutez les! Je ne puis les laissez dans une telle détresse ! Écoutez ces gémissements qui me fendent le cœur!
– Croyez-moi, Sire, un gémissement peut en cacher un autre et il y a peu de la détresse à la joie, un tout petit pas...
– Laissez-moi, je veux savoir...
– Sire, en vérité... je n'ose le dire...
– Dites-le! Je vous l'ordonne!
– Sire, j'en suis bien triste... et je n'y puis rien... mais vous êtes ce rien...
À ces mots, brusquement le Roi s’est levé et fait un pas en sa direction…
Le petit chien sans nom, de peur
se jette en arrière en montrant les dents, alors que le Roi se prenait les pieds dans le rideau. Il s'écroule, manquant de peu de l’écraser et se heurtant le pied contre les petites dents acérées en criant à son tour.
– Regardez, vous me faites trébucher, vous faites couler mon sang et puis, plus grave encore, il y a ce que vous osez dire... vous serez blâmé de la plus sévère des façons, vous le savez...
– Monseigneur, il y a plus grave, je vous en conjure, suivez-moi, je vous en prie et laissez là ce que vous ne pouvez voir… ni savoir…

jeudi 25 juillet 2024

Léger progrès

 

 

« Qui enseigne sans émanciper abrutit. »

Le Maître ignorant
Jacques Rancière, 10/18
 
 


« Les jeux de magie –ou la tricherie aux cartes– sont une métaphore de la réalité quotidienne. Il y a quelqu'un qui dit quelques choses et qui, en même temps, agit. Ce qui arrive réellement est caché dans les méandres de se paroles et surtout de ses gestes.
Et c'est différent de ce qui apparaît. »


Le passé est une terre étrangère, Gianrico Carofiglio [ Rivages ]

 


– Honoré Souverain, il existe de par le monde de très nombreuses sortes de prisonniers…
– Que viennent ils faire ici?
– Très honoré Souverain, je pense sincèrement que vous êtes prisonnier de tout ce que l’on vous a fait entrer de force dans votre cerveau et de tout ce que l’on vous a interdit et je crois qu’il est de la plus haute importance que je vous renseigne sur votre état. Je vous en demande humblement la permission…
– Je dois vous avouer avoir quelque doute sur cette nécessité…
– Sire, il y va de votre vie et je ne puis imaginer que vous refuseriez de me l’accorder de toute urgence! Comme je vous l’ai dit il s’agit de votre état… mais comprenez-moi bien… il s’agit tout autant de votre situation physique que politique…
– Enseignez-moi puisqu’il semble que vous en ayez le motif et la compétence… mais je vous prie de rester à votre place et de respecter la mienne…
– Sire, le cheval sur lequel vous vous croyez assis et tout ce qui nous entoure… palais et tentures, n'est qu'une illusion soigneusement entretenue depuis fort longtemps...
– J'en suis à me demander si vous aussi vous pourriez l'être...
– Très vénéré Souverain, cela dit, sans ironie, vous progressez… À ce rythme et moyennant quelques concessions légèrement douloureuses vous pourriez, de ce grand mystère, y voir plus clair…
– Est-ce là une métaphore?
– Nullement, avec ma plus haute considération…
– Serait-ce que vous prétendez être magicien?

 

 

 

Dévoilé

«  Ainsi disposée et entendue, l'histoire naturelle a pour condition de possibilité l'appartenance commune des choses et du langage à la représentation; mais elle n'existe comme tâche que dans la mesure où choses et langage se trouvent séparés.
Elle devra donc réduire cette distance pour amener le langage au plus près du regard et les choses regardées au plus près des mots. L'histoire naturelle, ce n'est rien d'autre que la nomination du visible. De là son apparente simplicité, et cette allure qui de loin paraît naïve tant elle est simple et imposée par l'évidence des choses. On a l'impression qu'avec Tournefort, avec Linné ou Buffon, on s'est enfin mis à dire ce qui de tout temps avait été visible, mais était demeuré muet devant une sorte de distraction invincible des regards. En fait, ce n'est pas une inattention millénaire qui s'est soudain dissipée, mais un champ nouveau de visibilité qui s'est constitué dans toute son épaisseur. »

Michel Foucault, Les mots et les choses, tel Gallimard, p.140



– Mon Bon Maître, Roi Bien-Aimé, les nouvelles que je vous apporte sont pour le moins surprenantes... mais d'abord, promettez-moi une chose: ne touchez pas à ce que l'on vous proposait tout-à-l'heure. Ces petits globes, aussi puissants et plaisant qu'ils puissent être, seraient la cause irrémédiable de votre chute. Écoutez-moi, le monde qu’il vous est loisible d’accéder n’est point ce que vous imaginez… 
– Serait-il plus grand encore?
– Pas exactement… et peut-être même… au contraire…
– Vous m’inquiétez!
– Soyez le… Ce qui nous est visible… ne l’est point pour vous…
– Insinueriez-vous que je sois aveugle?
– Sire, ma tâche dépasse de loin ma fonction et, de fait, je vous le dis, il se pourrait que nous nous trompions tous… Peut-être sommes nous au milieu d’une mise en scène…
– Je crois que si tel était le cas j’en serai informé…
– De tous temps les meilleurs spécialistes se sont interrogés…
– À quel propos?
– À propos de la perception que nous avons du monde qui nous entoure…
– En ce qui nous concerne, n’y a pas lieu de le faire… tout est clair!
– Ceci, Monseigneur, est votre réalité..
– Auriez-vous l’outrecuidance de suggérer qu’il en existe d’autres?
– Sire, il n’est point temps de disserter. Il se passe des choses bien bien étranges dans les bas-fonds de votre royaume et ce n'est pas sans liaison avec le but de notre mission.
– Il y a peu je vous aurais dit que j’aimais votre simplicité… je me trompais…
– Je n’y puis rien… mais ressaisissez-vous… pour pouvoir trouver une solution à un problème, il faut d’abord le poser… Ce qui doit advenir le sera de toute manière, et, vous pourriez ne pas aimer ce qui vous serait dévoilé … Seriez-vous disposé à découvrir le monde sous un autre jour?
– C’est ce que je m’apprêtais à faire lorsque vous m’avez interrompu…
– Et peut-être sauvé… Me permettez-vous de lever le voile?


– Sire! Sans vouloir médire, il existe de nombreuses choses que l’on s’applique à vous cacher… Il y a autour de vous un monde qui n’est point le votre et dont, si vous le connaissiez, vous prétendriez être le… ce à quoi on vous a préparé…
– Quel mal y aurait il à cela?
– Tout cela…


mercredi 24 juillet 2024

Page après page

 

"Vous n'en mourrez pas, mais Elohim sait que,
le jour où vous en mangerez, vos yeux se déssilleront
et vous serez comme des dieux,
sachant le bien et le mal."

Genèse II, 25; III, 1-6, La Pléiade
 
 
 
 

 

– Sir… vous qui êtes si…

– Je vous en prie ne me flattez point, cela vous rend odieux…

– Le livre de la vie devrait se lire sans hâte page après page de peur qu’une fois arrivé à la dernière il ne soit plus possible de comprendre ce qui y a été lu…

Puant et poussiéreux, venu du bout du monde, Sans-Nom venait d'avoir la peur de sa vie. Il avait, presque malgré lui, reniflé les offrandes qui allait être offerte à celui qu'il considérait comme son maître bien aimé sans que lui le reconnaisse. Il avait instantanément senti le danger qui les guettait, mais il ne pouvait rien dire sans être immédiatement démasqué. Il ne lui était resté qu'une seule possibilité : créer des conditions suffisamment désagréables et scandaleuses pour qu'elles infléchissent l'histoire. Rien ne pouvait demeurer en l’état…



 

mardi 23 juillet 2024

Effluves

 

"Je désirerai ne pas vous induire en erreur, quant à ce qui concerne cette science;
il est si difficile d'éviter la fausse route; elle renferme un poison si bien caché,
que l'on a tant de peine à distinguer du remède! Le mieux est dans ces leçons là,
si toutefois vous en suivez, de jurer toujours sur la parole du Maître.
Au total... arrêtez-vous aux mots! et vous arriverez alors
par la route la plus sûre au temple de la certitude
." *




– Mon Bon Roi, ce chien tremble et n'est guère rassuré... il est manifeste qu'il a peur. Regardez ce regard halluciné qu'il cherche vainement à cacher. Il m'a dit tout-à-l'heure qu'il entendait des voix et que ces voix s'adressaient à vous-même. Or, vous voyez, si j'ose dire, que nous ne voyons rien, et surtout nous n'entendons rien d'autre que le chant de vos sirènes...

– Je le comprend. Mais dites-moi, quelle est cette odeur putride? Ces mystérieuses effluves sont-elles les émanations de votre cuisine ou le signe concret de réalités qui nous sont insaisissable?

– Mon Bon Roi, l'idée selon laquelle il existerait certaines sortes de monde parallèle est chose dangereuse, notre cité, à votre convenance, est bâtie sur les fondements de la raison et je crains que ce vous concevez ne soit que le résultat d'un phénomène le plus vulgaire: ce chien errant est sous l'emprise de la peur et il dégage, de par ce fait, ce fumet si peu alléchant.
– Eh bien soit, votre beau discours m'a convaincu. Vous êtes manifestement l'homme de la situation. Il me semble évident que ce sera vous qui allez faire office de goûteur. Démontrez-nous, cher et brillant Orateur, l'inoffensive activité de votre chef d'œuvre.
– Je n'en demandais pas tant... je le ferai sans coup férir et avec grand plaisir; mais, dans ce même ordre d'idée qui vise à la protection de votre Altesse, il me semble que je devrai dès lors aussi me sacrifier et profiter des leçons particulières à propos des zones perceptives émoussées de votre Seigneurie pour juger du bon fondement et des conséquences pour l'instant inoffensives de leurs actes mais qui ne sont pas sans un certain danger. Vous seriez alors tout-à-fait réconforté et pourriez alors, en confiance, profiter pleinement et sans arrières pensée de leur enseignement.

– Je n'ai pas entièrement compris le sens de votre discours mais il n'est certainement pas dépourvu de bon sens. Si j'obtiens l'accord de mes enseignantes il en sera fait selon votre proposition. Permettez que je leur en touche un mot et nous prenions le temps de la réflexion.





"Cesse donc de te jouer de cette tristesse qui,comme le vautour, dévore ta vie.
En si mauvaise compagnie que tu sois,
tu pourras sentir que tu es homme avec les hommes:
cependant on ne songe pas pour cela à t'encanailler.
Je ne suis pas moi-même un des premiers ;
mais, si tu veux, uni à moi, diriger tes pas dans la vie,
je m'accommoderai volontiers de t'appartenir sur le champ.
Je me fais ton compagnon, ou, si cela t'arrange mieux,
ton serviteur ou ton esclave."
*

* Faust, Goethe, livre de poche


Nous allons voir que notre serviteur, ayant œuvré avec succès dans sa quête, est bien prêt d'accéder à ses propres désirs.

 

lundi 22 juillet 2024

Fidèle

 

« Ils (les tyrans) se fortifient d'autant, deviennent de plus en plus frais et dispos pour tout anéantir et tout détruire. Mais si on ne leur fournit rien, si on ne leur obéit pas, sans les combattre, sans les frapper, ils restent nus et défaits et ne sont plus rien, de même que la branche, n'ayant plus de suc ni d'aliment à sa racine, devient sèche et morte.»

Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire 



– Soyez rassuré Cher et excellent Maître que j'adore et que je vénère, je ne cherche point à vous arracher une quelconque confidence, je vous propose, fidèle au devoir que vous m’avez imposé, ces quelques globes qu'il vous faudra ingérer à votre bon plaisir pour acquérir pleine connaissance, à peu de frais, et avec grande économie de temps. Si votre bon plaisir n’est point satisfait, je m'engage à changer leur composition en profitant des observations qu'il vous paraîtra juste de me faire part. Vous pourriez ainsi accéder à une suite d'expériences inoubliables dont le mérite sera prouvé par les résultats. Quant à moi je vous garantis que la recette, dont je vais donner l'idée et l'usage, vous transportera au-delà de ce que vous pourriez concevoir de plus beau et satisfera tout autant votre compagnie, si ce n'est plus que vous-même... Oh! Veuillez ne pas prendre ombrage de ce qui me vient à l’esprit… mais il me semble, si je puis me permettre... enfin quelque chose me dit que vous seriez légèrement... comment dire... moins grand. Se pourrait-il que vous soyez souffrant mon Bon Seigneur? Dans ce cas il est urgent que vous preniez soin de vous et que vous vous nourrissiez de ce que...




- Je ne suis point souffrant, loin s'en faut et l'on prend bien soin de moi, croyez le bien, mais dites-moi d'abord quel est ce compagnon que vous avez introduit et qui n'eut dû, pas plus que vous même apparaître ici sans voile? Et puis il me semble aussi, puisque vous vous autorisez quelque remarque personnelle, que votre bosse, selon l'écho qui me parvient, grandirait sensiblement...

- Je n'y puis rien mon Illustre Seigneur, je ne l'ai point introduit, je parle de cet être et non de ma bosse, mais il me suit comme une ombre depuis que je suis entré. Il dit aussi vous connaître et même prétend que vous avez commerce avec lui. Comment est-il entré? Je ne le sais, mais si j'en juge selon son aisance il semble bien connaître les lieux. Quant à ma bosse elle se porte bien et je n'y ai remarqué aucun changement.

- On me chuchote à l'oreille de me méfier. Donnez-moi, je vous prie, quelques détails à propos de ces bouchées que vous aimeriez que je mange. Il faut que je vous dise que ne suis plus aussi candide que vous vous plaisez à penser.
 Peut-être faudrait-il que quelqu'un goûte à ces mets délicats que me préparez. Donnez-en une à votre compagnon que vous avez eu l’audace d’inviter dans votre dos!



- Non mon Maître, je vous supplie de ne point faire cela ! Cela aurait pour cause que je ne pourrai vous faire rapport de ce que j'ai appris et qui est, je le crois, de la plus haute importance.



dimanche 21 juillet 2024

Serviteur


« Certes, comme le feu d'une petite étincelle grandit et se renforce toujours, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s'éteindre de lui-même quand on cesse de l'alimenter, de même, plus les tyrans pillent, plus ils exigent; plus ils ruinent et détruisent, plus où leur fournit, plus on les sert.»

Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire 



« Il avait longuement réfléchi à cette phrase, comme à une énigme qui le plongeait dans la plus vive inquiétude, et c'est sans doute pour cela qu'il l'avait retenue.»


– Veuillez, Seigneur, vous servir…

– Croyez-vous qu’il soit céans que je me serve moi-même? Je ne crois point être serviteur! … De plus…Comment cela pourrait-il être présenté…  D’autre part il se trouve que j’ai quelque doute trottant dans mon hémisphère droit…

– Je ne vois point le rapport…

– Il me semble… qu’il se trouve que ce doute… me parle de vous…

– Et que dit-il?

– Il me demande si je suis bien sûr de savoir ce que vous me proposez avec tant de diligence… Se pourrait-il qu’il y ait quelque énigme que je ne suis point certain de pouvoir résoudre… une forme improbable de succession d’idées, que je peine à formuler, se présente et peine à passer dans l’hémisphère gauche… bien sûr il est certain que c’est beaucoup plus complexe que cela… cependant que je ressens fortement quelque impatience communicative… On m’attend, vous le savez, là où séjournent certains secrets généreusement proposés, intérêts réciproques, point de fuite souverain, géométrie royale… et… là où vous ne devez point être…



samedi 20 juillet 2024

Diligent

 

" Celui qui lit toujours ne sera jamais lu. "

Jean-Joseph Jacotot 



Sans savoir si cela est cause de ses souffrances ou de son salut, il s’interroge tout en obéissant pendant que… en son cœur, son roi, il le voyait, laissait une petite place à la méfiance…
- Monseigneur, j'ai fait diligence et voici sur ce couvert les délicates substances que vous m'avez commandé.
- Vous-même, vous êtes-vous couvert pour cette fois-ci? Auriez vous omis de porter ce tapis rouge sous lequel vous êtes censé avancer? Il me semble que votre voix cristalline n'est guère transformée par le filtre du voile et qu'ainsi je puis déduire que vous pourriez ne pas l'être.
- Mon Roi Bienaimé, je vous prie d'être indulgent, croyez-vous qu'il soit pratique de se déplacer rampant sous la couverture sans cesse en proie à l'inquiétude de se prendre les pieds et de vous faire le déshonneur de m'étaler médiocrement devant vous comme il m'est arrivé tout-à-l'heure. Mais soyez rassuré, autant que je le puis, je cache à mon regard ce qui ne doit point se voir.
- Ne relâchez pas votre effort, venez avec prudence, sans désir d’émancipation, soyez suffisamment intelligent pour ne pas l’être… et surtout sans un regard… me livrer ce que nous attendons.
- Il en sera fait selon votre volonté...
- Monsieur, arrêtez-vous, j'apprends à l'instant que vous seriez un fieffé coquin. Il me semble que j'avais fortement manifesté la haine de vous savoir décoiffé et le désir que vous soyez coiffé de ce couvre-chef… délirant… peut-être, tintinnabulant, sûrement! Et c’est là sa fonction!
- Vous avez raison, Monseigneur, et pourtant vous avez tort.
- Quelle est cette nouvelle embrouille ? Est-ce là un nouveau jeu de mots auquel je n'entends rien?
- Non Monseigneur, cela y ressemble mais cela n'est point.
- Expliquez-vous et prenez garde que ce ne soit votre dernier râle!
- Je suis simplement décoiffé, Monseigneur. J'ai depuis si longtemps le devoir de vous obéir et ainsi porter cette coiffe qui, maintenant, vous dérange de ne pas vous déranger, ainsi ma chevelure s'y est adaptée. J'ai beau faire l'effort de lui faire violence elle n'obéit pas et retrouve en peu de temps la forme à laquelle nous l'y avons contraint. Et pour ma part je ne suis même pas débarrassé des clochettes
Au moindre de mes mouvement elles se mettent à tinter dans les espaces secrets de mes boyaux, ce qui va me rendre fou et fait que je ne trouve guère le repos.