dimanche 9 février 2025


« Les forces imaginantes de notre esprit se développent sur deux axes très différents.
Les unes trouvent leur essor devant la nouveauté; elles s'amusent du pittoresque, de la variété, de l'événement inattendu. L'imagination qu'elles animent a toujours un printemps à décrire. Dans la nature, loin de nous, déjà vivantes, elles produisent des fleurs.
Les autres forces imaginantes creusent le fond de l'être; elles veulent trouver dans l'être, à la fois, le primitif et l'éternel. Elles dominent la saison et l'histoire. Dans la nature, en nous et hors de nous, elles produisent des germes; des germes où la forme est enfoncée dans une substance, où la forme est interne.
En s'exprimant tout de suite philosophiquement, on pourrait distinguer deux imaginations : une imagination qui donne vie à la cause formelle et une imagination qui donne vie à la cause matérielle ou, plus brièvement, l'imagination formelle et l'imagination matérielle. Ces derniers concepts exprimés sous une forme abrégée nous semblent en effet indispensables à une étude philosophique complète de la création poétique. Il faut qu'une cause sentimentale, qu'une cause du cœur devienne une cause formelle pour que l'œuvre ait la variété du verbe, la vie changeante de la lumière. Mais outre les images de la forme, si souvent évoquées par les psychologues de l'imagination, il y a -nous le montrerons- des images de la matière, des images directes de la matière. La vue les nomme, mais la main les connaît. Une joie dynamique les manie, les pétrit, les allège. Ces images de la matière, on les rêve substantiellement, intimement, en écartant les formes, les formes périssables, les vaines images, le devenir des surfaces. Elles ont un poids, elles sont un cœur.
Sans doute, il est des œuvres où les deux forces imaginantes coopèrent. Il est même impossible de les séparer complètement. La rêverie la plus mobile, la plus métamorphosante, la plus entièrement livrée aux formes, garde quand même un lest, une densité, une lenteur, une germination. En revanche, toute œuvre poétique qui descend assez profondément dans le germe de l'être pour trouver la solide constance et belle monotonie de la matière, toute œuvre poétique qui prend ses forces dans l'action vigilante d'une cause substantielle doit, tout de même, fleurir, se parer. Elle doit accueillir, pour la première séduction du lecteur, les exubérances de la beauté formelle.»

Gaston Bachelard, L'eau et les rêves, Le livre de poche
 
 
 

 
 
 
 
Un phénomène étrange avait été découvert par Asinus. N'importe où, n'importe quand, sur un îlot ou sur un autre, pouvait apparaître une sorte d'oasis luxuriante. Elle restait là pour un temps, puis elle disparaissait aussi vite qu'elle était apparue. Il leur était impossible de prévoir si cela pouvait se reproduire... ni, à fortiori, de le prédire...
 
 
Un jour, Asinus, l'âne aux songes incertains,
Vit surgir, insensé, des jardins clandestins.
Là, parmi les rochers que la mer malmène,
Naissait un paradis aux splendeurs souveraines.
Des arbres alourdis d'un feuillage éclatant,
Des fruits gonflés de sève au suc éblouissant,
Des ombres caressantes où l'onde se repose,
Un souffle suspendu, l'illusion grandiose.
Mais à peine entrevu, ce mirage se meurt,
Et l'herbe en un instant se flétrit sans labeur.
Là où régnaient splendeur et fraîcheur passagère,
Revient le sol caillouteux d'une île inhospitalière.

 

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