“Les forêts glissent vers le néant, les eaux deviennent des torrents boueux, incontrôlables, les foules se mettent en marche, emportant tout dans leur sillage. La Chute du ciel parle d'un monde qui penche tout entier vers le vide, interminablement. Dans l'attente d'une conclusion qu'on ne veut concevoir et qui ne semble jamais se décider à arriver vraiment.”
Ce que les trois compères édifient excède toute mesure concevable. Non pas qu’ils cherchent à donner forme à l’inimaginable, mais parce qu’ils veulent fuir l’imagination même, et que leur fuite, paradoxalement, la nourrit. Ce n’est pas en bâtisseurs qu’ils œuvrent, mais en témoins d’un mouvement qui les dépasse et dont ils ne sont que le passage. Leur chapiteau de fortune, ils le montent et le démontent sans cesse, mais ce n’est là qu’un jeu d’ombres. Plus profondément, ils déplacent des pierres, les agencent, les superposent, et peu à peu, dans l’inconsistance mouvante de l’archipel, se dresse un pont. Un pont immense, qui traverse le vide autant qu’il le creuse. Un pont dont ils ne savent plus s’ils l’ont commencé ou s’il était déjà là. À mesure qu’il prend forme sous leurs mains, il échappe à leur regard, se prolonge sans but, se dérobe à toute finalité.
Et bien avant qu’ils puissent le parcourir, le sonder, en éprouver la portée, l’île elle-même s’emploie à le résorber. La roche, le vent, l’écume l’absorbent comme s’il n’avait jamais existé, et la mémoire de sa construction s’efface avec lui. Ce qu’ils ont bâti n’a pas disparu, il s’est simplement replié dans la texture du monde, rejoignant l’espace d’avant la forme, cet entrelacs du possible et de l’oublié, où tout est en puissance et rien ne demeure.
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