vendredi 30 octobre 2015

30 octobre (78) Marcel écrit

Épisode 78

Bonjour à vous, cher Joachim
Hier, je vous l'ai dit, j'avais été été fort surpris et fortement ému par votre lettre. Sans même l'avoir lue, le simple fait de l'avoir reçue m'avait rendu heureux. Je vous disais aussi combien la curiosité, l'estime et l'amitié que je vous porte étaient sans égales. Si je ne l'avais pas ouverte immédiatement c'était en raison d'une trop forte émotion. Il est vrai que ce n'est que bien plus tard que je me suis mis à la lire. Je craignais alors que son contenu ne vienne troubler mes espoirs. J'avais tort et si le souvenir que vous me racontez est encore bien présent dans mon esprit, je dois, comme promis hier vous faire part du point de vue qui est le mien et qui diffère légèrement du votre. Je crois toujours que nous arriverons finalement  aux mêmes conclusions. Maintenant que j'ai réglé quelque affaire pressante... Je me remets à la tâche. Je ne vous cache pas que, pour moi, elle soit ardue. Si notre penchant pour l'ordre, aussi naturel qu'il soit ou qu'il nous paraisse, nous amène à penser que nos actes en seraient une sorte de conséquence, il assez ahurissant de constater à quel point tout cela se fait "bien malgré nous". Certains diraient: "à l'insu de nous". C'est là le centre de ce que je voudrais vous dire. Même si, dans la mesure du possible, je ne me fais aucune illusion: tout ce que je dirai sera, potentiellement réalisé ou non, complètement réinterprété. Vous le savez, ce que nous appelons langage, chose fort complexe, véhicule des règles qui ne limitent ou ne conservent en rien ce qu'elles sont censées protéger. Comment pourrions-nous échapper à cette forme d'emprisonnement symbolique?
Justement, il me semble aujourd'hui et contrairement à ce que nous pensions alors, qu'il n'est pas possible d'y échapper...
Ainsi les mots enfermeraient ce qu'ils sont censés protéger...
Premier paradoxe : je vous disais tout à l'heure que nous arriverions, plus ou moins aux mêmes "conclusions". Eh bien là se trouve peut-être le vrai problème...
Qu'est-donc qu'une conclusion. Sans même penser à séparer les diverses sortes de conclusions, elles ont toutes, en commun, le fait de faire une pause dans laquelle s'inscrirait une sorte d'image figée de ce qui a été. Cette image serait, en quelque sorte, la vision d'un passé qui ne pourrait plus être changé. Vous vous rendrez compte, de vous même, que cela n'est point chose possible sans l'aide d'un concept. Or tout concept n'est-il point la manifestation de l'esprit et non du monde naturel, au sens banal et terre- à terre de la nature?
Vous le voyez, cher Joachim, le doute me ronge et tout en me demandant si cela n'était pas le fait de ce rongement, je pense que nous sommes loin d'être sorti de l'auberge... Surtout qu'ici, sur cette île presque déserte, il y a loin d'y avoir une auberge...
C'est ainsi que j'en suis arrivé à penser que tout ce que nous avons mis sur pied ne pouvait marcher... Vous savez, il y a toujours un moment particulier, qui se situe généralement à un stade avancé d’une discussion, aussi banale soit-elle, où l’on en vient à mentionner ces "Tyrans" qui nous gouvernent ou qui nous ont gouverné. 
Il m'arrive parfois de penser que sans toutes ces interrogations nous serions encore en train de "nous la couler douce"... et immédiatement, arrivant au galop, la pensée, certaines pensées s'installent sous le masque derrière lequel nous somme, plus que nous le pensons, enfermés... Elles nous disent, en nous faisons croire que nous en somme les auteurs, combien il est nécessaire de construire.
Construire quoi? 
... une "humanité meilleure"... meilleure que quoi ?
Il n'est point de meilleur sans comparaisons... Vous souvenez-vous Joachim, de cet élan qui était le nôtre. Je vous l'avoue, quand j'y repense aujourd'hui j'ai quelques frissons et je me demande si ce qui les suscite est l'élan lui-même ou ce que j'en pense aujourd'hui...


 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je tarde à revenir lire à chaque fois avec regret. Des fois je me dis que l'illusion est plus douce que la réalité brute. Passé le temps de la méthode Coué, il reste peu d'espoir sur soi-même et sur les autres. Sommes-nous capable de changer le monde? Je ne pense pas et le croire est faire injure à son honnêteté. Passé ce temps, il ne reste que peu de chose, la famille, les amis et l'être aimé si il est présent. La fraternité de part l'effort qu'il demande nous berce d'illusion. Le monde est bien plus individuel que ce que l'on veut bien croire. Bien plus sombre. Il tourne vite sur lui même sans pour autant réellement changer de place. L'illusion se dissipe et je me pose la question des conséquences. "Bah voilà" dirait un de mes amis en guise de conclusion. Il ne conclue jamais à vrai dire, alors il ajouterait sans vraiment le prononcer. "Est ce que c'est bien grave?" NON. Est-ce que je m'en moque? OUI. Cette auberge n'existe pas réellement, c'est la réalité. La mienne, la notre est bien plus fondamentale et bien plus simple. Un café, cher ami?

e Me dire que si j'arrive à changer ne serait-ce qu'un trait du miens