mardi 27 octobre 2015

27 octobre (74) Bien réel?

Épisode 74

Où Joachim, sortant de son silence, répond avec retard à la dernière lettre de Marcel.

 
Cher Marcel
Je ne sais si je puis vous appeler ainsi. Mais il y a déjà si longtemps que tout s'est passé qu'il me semble fortement improbable que nos lettres puissent susciter le moindre intérêt de la part de ceux qui nous ont succédé. Certes, leurs comportements pourraient laisser croire qu'ils auraient goût à cela, mais on peut croire, à les voir, qu'ils n'ont rien de mieux à faire que de s'agiter devant leurs propres miroirs en proclamant comme le fit notre présent ministre de la Porte et Tyran sortant:
– Le sort s’acharne sur nous. L'incendie est à nos portes. Au-delà des jalousies et des bassesses nous aurions besoin d'un leader fort!
C'est ainsi, souvenez-vous, qu'il prit la place de "notre roi". Vous ne pouvez connaitre toute l’histoire puisqu'une partie a eu lieu lorsque vous étiez déjà loin. Il ne m'est guère possible de vous rendre compte de tout ce qui s'est passé, mais sachez que, s'il fut démocratiquement élu, il ne lui pas fallu bien longtemps, à force de repousser les limites de l'acceptable, pour établir une ploutocratie digne des plus grandes périodes de notre histoire. 
Vous souvenez-vous, cher Marcel, de ce jour où,par le plus grand des hasards, nous avions fait fait route commune avec lui pour nous rendre à notre assemblée des ministres? Témoin privilégié, comme vous, pour ma part, je m'en souviens comme si c'était hier...
La réunion s'était bien passée. Tout avait bien commencé. Tout joyeux de ne point nous être fâché avec quiconque nous nous étions mis en route pour le retour. Et puis, comme dans un partie d'échec, s'est mis en route l'enroulement classique des tournures, la lente et progressive mise en place des éléments. Sans que personne ne tire sur le fil, la pelote se déroule. Et si le chat joue l'homme marche sur le fil qui se tend... Équilibre instable. Au moment voulu, au prix d'une indéniable créativité, la langue se tord. Ce ne fut pas même une surprise de le voir sortir de ses gonds. Il m'a semblé que cela fut sans même qu'il s’aperçoive de rien. Un passage presque en douceur. Du calme le plus enjôlant, presque rassurant, tout de même un peu mielleux, monte graduellement jusqu'à la tempête la plus vorace des paroles. L'entendre véhiculer avec une force peu commune un discours banal et convenu au plan des mots me semblât tout-à-fait déplacé. La surprise vint après. Je me demandais si je n’avais pas affaire à un fantôme ou à un ivrogne sur un fil marchant et balayant par gestes imprévisiblement larges toutes velléités de réponses. En pleine campagne, sur l'autoroute du succès, loin de se calmer notre ministre postulant, redoublant d'énergie fait une apparition théâtrale et délirante. Guignolet... Si l'ambition et la soif du pouvoir déforme, toute parole transporte une infinie diversité d’interprétations possibles. Facettes inédites ou clichés convenus, c'est à choix... Cette diversité se manifeste notamment par le ton que le parleur convoque et emploie. Mais le discours dont je vous parle, que je considérais comme étant assez lénifiant et fallacieux, peut-être avec excès je vous l'avoue, contenait une telle violence tourbillonnante au niveau des sentiments invisibles qu'il me semblait percevoir une tornade d'émotions reliées, prisonnières les unes des autres... Les mots et les sentiments s’enchaînent. Cela eut dû nous faire réfléchir encore plus intensément... Mais comment réagir dans ce type de circonstance... Les bravades qui s'imposent de manière aussi abrupte demandent du temps pour être digérés. Point de sagesse et de raison dans l'emportement... vous le savez mieux que quiconque. Rideau tiré et gueule de bois assurée...
Aujourd'hui encore, il faut que ceux qui, bien plus tard, durent, au prix d'un inlassable labeur, corriger lentement, une par une, les catastrophiques conséquences de ces actes et de ceux de ses prédécesseurs.
Cher Marcel, votre silence, inhabituel, me pousse à contrevenir à nos conventions et à vous écrire. Sachez que j'attends avec impatience votre prochaine lettre. Je ne suis pas toujours d'accord avec l'entier de votre discours, mais cela n'est pas nouveau...

Bien à vous
Joachim 
 

 "Entre les mains de mon maître se jouent des destins qu'il peine à connaître"
Lancinante
 

Lancinante, docte et placide ne s'émeut guère du questionnement incessant de son maître mais refuse de s'engager dans une querelle inextinguible. Patiemment et peut-être aussi vainement, elle essaie de démêler le laborieux esprit de Don Penúl.

Lancinante
– Il n'y a point de vérité qui se forme sur le monde, Don Penúl. Tout peut être vérité. La plus absurde des choses est réelle mais peut aussi ne pas exister. C'est le regard que vous portez sur elle qui la fait exister. Si vous me dites que ce que vous portez en vos mains fait partie de la vérité, je vous suis. Si vous me dites que cette chose vit indépendamment de vous, je ne vous suis plus.

Don Penúl
Mais, Lancinante, vous me dites que, par mon regard, elle serait réelle. Bien. Mais que se passe t'il lorsque je cesse de la regarder? Comment cette chose pourrait ne pas exister ? Et... suffit-il pour cela que je ne la regarde plus ?

Lancinante
C'est exactement cela, Don Penúl.

  C'est absurde !

Lancinante
– Certes, c'est absurde... mais bien réel. 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il est toujours difficile de justifier l'injustifiable. Existe t'il une différence entre l'atteinte légère et forte lorsqu'il s'agit d'un principe d'égalité ? Je suis persuadé que non d'autant plus dans nos sociétés initiatiques. Les raisons de l'opposition sont bien plus profondes, personnelles, voir égoïstes. Le Temple est dans le monde, il ne faut donc pas d'étonner de ces aller-retours plus ou moins contrôlés et se réjouir de la possibilité de s'y confronter. C'est une source de comparaison qui peut nous faire grandir. Même si je ne suis pas d'accord, le chemin parcouru ensemble reste très instructifs. C'est ainsi qu'ils nous permet d'évoluer et c'est pour cela que la fraternité permet des merveilles.