mardi 16 mai 2017

Face-à-face

 Platon l’Ancien, alors âgé de trois ans, a été retrouvé par son père, le Bienveillant Gabar,  qui pense que l'enfant s'est perdu dans les rochers au bout de la plage. Sans intention malveillante, il le ramène de force. La force de l'amour est indispensable, dit-il sans ménagement.

Mais l'enfant emporte avec lui un trésor... Un face-à-face que ni la bêtise ni l'inconscience de ses maître ne pourront effacer.



 – Il m'était difficile de distinguer ce qui d'un côté ou de l'autre agissait sur ce qui ne pouvait normalement être que contraire et qui me semblait, à l'inverse, s'assembler... 

Platon l'Ancien sait depuis toujours que, par force, l'un ou l'autre des côtés cède. C'est l'un ou l'autre. C'est noir ou c'est blanc... et c'est ainsi que l'humanité vogue de catastrophes en catastrophes Platon l'Ancien face au cube sait qu'il existe deux mondes dont l'un doit disparaître au profit de l'autre. C'est la loi des hommes et celle de son père. Dès ce moment, subitement, Platon se trouve précipité dans une expérience existentielle à laquelle rien ne l'avait préparé. Quelque soit son âge et son apparence, un autre homme en lui est venu au monde dont le père n'est plus celui d'aujourd'hui et n'est autre que lui -même.

L'enfant, dans un temps que l'adulte ne connait presque plus:

– Rien de ce qui jusque là m'avait été servi en guise d'éducation ne me semblait plus avoir de cohérence. Comment faire pour détourner l'inévitable «il faut aller de l'avant»?

Sempiternellement la sentence est claironnée sur tous les tons, avec ou sans nuances... 

D'honorables causes (à la sentence sus-citée) sont avancées: l'attachement pour la liberté, l'émancipation de l'individu, l'égalité des chances, la nécessité de l'État, la croyance en l'état et, cerise sur le gâteau: la liberté... La nécessité de s'entre-aider, autrement et vite dit: la fraternité... En complément, ou subséquemment, nous serions tous issus d'un même moule avec le même adn...
Vaste programme qui se résume au vœu pieux: 
«La réussite heureuse»

Naturellement cette réussite est censée être celle de l'ensemble  –l'unification avant tout– et non celle de l'individu qui est forcément un égoïste et donc un danger... surtout quand il ose mettre en cause ce qui prétend être l'ordre et qui pourrait n'être, selon lui, plus encore que "bon sens": dogme, croyance et illusion.

Le résultat ce programme sera celui de toujours, l'ensemble sera soumis à l'aisance et l'arrogance de celui (ou ceux) qui aura su étendre son réseau, qui aura su parler, manipuler tractage et tractations, compétences et auras, idées et clichés, tam-tam, ramdam, tohu-bohu, brillance et humilité, et, surtout, saura prendre en mains en faisant croire qu'en toute humilité et bienveillance ceux qui auront la bonté, la beauté et la clairvoyance de croire en lui et de l'inviter à les guider avec enthousiasme. Alors, c'est promis, il les prendra dans ses bras et, mêlant le particulier et le général, dira, un léger trémolo dans la voix, mais sans l'ombre d'un doute:

– Frères, nous avons survécu!

L'illusion est dans l'illusion: Elle n'est jamais aussi parfaite que quand elle nous fait croire que c'est une illusion...

"Vous m'avez investi du pouvoir qui maintenant est le mien, je ferai votre bien en faisant le mien..."

Ingrat, instable, bancal et ombrageux sera celui qui osera avancer la moindre des critiques. Le malentendu est de rigueur et le discours de taille et d'estoc. Et si, par surplus, celui qui se lève sans avoir levé la main est "nécessiteux", le pouvoir,  quel qu'il soit, sûr de sa force, se "gausse et laisse persiffler".  En définitive, il aura raison. Et puis l'enfance passe, dans quelque temps lui aussi aura raison et la maladie du pouvoir, insidieuse et subtile aura raison de lui. Sa veste, usée naturellement, saura montrer sa brillante doublure. Il lui faudrait tant de patience pour supporter tant de bêtise... d'autant plus que l'oubli, l'absence d'analyse, le manque de conscience, le passage du temps, la cicatrisation, la croyance et l'espoir forment un ensemble qui s'assemble si bien à la maladie et permettre de d'annoncer avec emphase, honneur, cœur et réaction:

 «Il faut tout changer pour que rien ne change»*...

 
* Giuseppe Tomasi di Lampedusa , Le Guépard









 




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