lundi 31 juillet 2017

Cela

 "Je ne suis pas logé en mon corps comme le capitaine en son navire..."*



Platon, le petit chien, lui aussi, et malgré l'impossibilité annoncée et conforme à sa nature supposée, s'adonne à la pensée:


– Selon certains, la nature de l'âme serait distincte de celle du corps. Descartes, par exemple considère le corps comme un pur objet et en fait une théorie mécaniste. Tout ne serait que tubes poulies, leviers, tuyaux, tunnels, artères ou viscères. L'animal que je suis, pure machine selon lui, ne ressentirait rien et réagirait de façon purement mécanique...

Quand on veut détruire quelque chose c'est que la chose en question dérange. Peu importe les moyens mis en œuvre, seul le résultat compte... Ce qui arrive après cette chose est une succession et non une causalité.


– Le monde est-il un continuel affrontement entre les points de vue?

– Le monde n'est rien de tout cela, mais il englobe cela et pour cela il le le devient...Mais il n'est pas que cela... même si cela l'influence... un peu, selon les points de vue.



* "Tout ce qui arrive à mon corps m'arrive aussi. L'âme que je suis n'est point corporelle, mais elle est étroitement unie à ce corps qui est mien. L'homme que je suis n'est pas la juxtaposition mais l'union d'une âme et d'un corps."

René Descartes




 

dimanche 30 juillet 2017

Le naufrage de l'Abysse (7)

Difficile de dire  exactement ce qui se passa dans la tête des uns et des autres. Toujours est-il que ce qui apparu aux uns était peut-être l'exact opposé de ce que les autres ressentaient intérieurement... et réciproquement. Le fait est aussi que tous avaient la très nette sensation d'être dans le vrai tandis que l'autre était forcément dans l'erreur. Le plus drôle dans cette situation eut pu être, et il se peut que ce soit le cas, que tous, finalement, pensaient peut-être avaient la même chose en tête... 
.


"Parle, ô grande et vénérable tête, murmura Achab, si tu ne portes pas de barbe, tu parais çà et là blanchie de mousses, parle, puissante tête et livre-nous le secret qui est en toi." *

Au gré des humeurs, au hasard des incidents, l'oscillation perpétuelle du pendule entre la paix et la guerre, entre la caresse et le meurtre. Longtemps encore, envers et contre tout, splendides et interdites messes basses, on en reparlera... 



– Des femmes, il nous faut des femmes, criaient les uns pendant que les autres se voilaient la face, maniaient l'encensoir d'une main et grande chaîne de la tradition de l'autre. Et tel le moine en sa cellule se grise des euphorisantes et délicieuse blessures que la foi recueille en son sein, s'abat sur le dos des uns des autres tout ce métal en forme de maillons que forge inlassablement depuis la nuit des temps la reine de la tradition: j'ai nommé la Bêtise. Ce qui n'eut du être que caresse et mots d'esprit n'était que menace et mépris. Chacun se prenait pour un révolutionnaire et tous ne se rendaient aucunement comptes qu'ils n'étaient même plus conservateurs mais petits réactionnaires. 


* Moby Dick, Melville

samedi 29 juillet 2017

Le naufrage de L'Abysse (6) La traduction

"... donner à voir que les langues ne sont pas neutres, qu’elles colorient les textes d’une façon si singulière et si intense qu’aucune œuvre ne peut être considérée comme indépendante de sa langue originelle. Pourtant, bien sûr, des transformations en forme de passerelles sont possibles, mais elles relèvent toujours d’une opération délicate : la traduction. « Tout le travail de la traduction, écrivit Valéry Larbaud, est une pesée de mots. Dans l’un des plateaux nous déposons l’un après l’autre les mots de l’auteur, et dans l’autre nous essayons tour à tour un nombre indéterminé de mots appartenant à la langue dans laquelle nous traduisons cet auteur, et nous attendons l’instant où les deux plateaux seront en équilibre »."


ressemblaient à s'y méprendre, du côté des ambassadeurs, directeurs, officiers, glaives et marteaux, plumes et gants, maillets et planches, ballets et parquets cirés, glissade et colonnades, décorations et mascarade, à la prise de la Bastille. Sans aucune noblesse, un feu d'artifice de haut rang il y eut, de peuple il n'y eut pas. Chacun, du plus grand au plus petit, était devenu roi et savant... Créant le monde à son image, chacun était devenu prisonnier de son dessein et l'autre un crétin. Sans la conscience, la resplendissante dissonance des volontés, vague reflet de tout ce qu'ensemble ils avaient patiemment construit, masquait à peine une mielleuse cacophonie flottante sans que personne ne veuille se rendre compte à quel point l'égarement était grand. Au gré des humeurs, au hasard des incidents, l'oscillation perpétuelle du pendule entre la paix et la guerre, entre la caresse et le meurtre. Longtemps encore, envers et contre tout, splendides et interdites messes basses, on en reparlera...  

Platon, lui aussi, malgré le fait qu'il ne puisse se considérer comme un spécialiste, sait fort bien combien les mots et sa langue, celle qu'il parle depuis toujours, sont actifs en lui-même.


– Sommes-nous les maîtres de ce à quoi nous sommes soumis? Combien d'entre-nous se rendent-ils comptes combien nous respectons des règles qui n'ont rien de naturel et n'ont d'autre but que politique, au sens large. Celui de guider les êtres humains vers leur appartenance à un groupe?

Une part de vérité...

La pensée des uns n’est pas la pensée des autres et pour tout songe, comme pour toute histoire, il y a une infinité de lectures possibles. À chaque variante correspond une part de vérité possible. La présente variante du récit de Platon n’ajoute  rien ou peu de chose à la vérité, mais comme elle n’y enlève rien non  plus, on peut la dire sans que le doute doive ne doive sans cesse s’installer comme un mouvement infini dans la tête ou l’esprit d’un valeureux lecteur. Il est vrai aussi que cette histoire qui s’écrit littéralement de jour en jour demande à être réécrite de lendemain en lendemain et cela avec assiduité tant le désordre s’installe au détriment de la clarté sans pour autant que le noyau ne puisse jamais en être atteint. Si les chairs opulentes offrent, en certains cas du moins, un certain attrait, il est vrai aussi que le noyau par lui-même une constitue pas le but ultime. Chacun devra faire sa part pour connaitre ce qu’il faut faire pour percer la carapace qui en est la prison. Néanmoins on se tromperait en pensant que tout cela est fort débridé… ou alors il faudrait accepter que le galop d’un cheval puisse avoir une valeur qui ne dépende point d’un cavalier. 

 – Quelle est votre version de la vérité?



– Les diverses versions sont des impostures, de vulgaires miroirs où se reflètent des mensonges. Ce qui est vrai ne peut être que singulier. Il n’est pas dans les mots, mais dans la voix qui les prononce.

vendredi 28 juillet 2017

Conventions

"La réalité est difficile à exprimer quelle que soit la langue. La traduction a semble inscrite dans l’acte même d’écriture ou de lecture. Une altérité se construit ainsi dès que la formulation se met en scène. Pourtant la langue dans laquelle le lecteur-écrivain s’exprime appartient au monde réel même s’il s’agit d’une convention."*



Platon, comme quiconque tournant autour de lui-même, voit le monde défiler.

– Pendant que le mouvement se déroule et prend forme, l'oubli, dès l'origine, a commencé de s'installer...


* Calin, Anca
Le pouvoir des mots : autour de Thomas l’Obscur 
In : Maurice Blanchot, entre roman et récit.
Presses universitaires de Paris Nanterre, 2014




L'Abysse (5)

« Il s'était laissé glisser le plus loin possible jusqu’à une autre repli de la steppe. Au printemps les rivières soudain violentes creusent toujours des lits turbulents et entrelacés dans les plaines immenses où elles cherchent des passages. En hiver sous la neige, sous la neige, les vastes étendues semblent plates et lissée parle gel, mais les reflets sont trompeurs.»*


 Platon l'Ancien, lui aussi est trompé par ses propres sentiments. Un paysage familier ne l'est que pour peu que l'on ait foi en la famille... Encore faudrait-il définir ce que cela peut signifier et surtout dans quelles limites cette définition prenne son sens.

Pour revenir à notre histoire, le Grand Naufrage de L'Abysse, mille éléments insaisissable ou inconnus firent mieux que le meilleur des romans et toutes les perplexités d’une situation plus que jamais compromise ressemblaient à s'y méprendre, du côté des ambassadeurs, directeurs, officiers, glaives et marteaux, plumes et gants, maillets et planches, ballets et parquets cirés, glissade et colonnades, décorations et mascarade, à la prise de la Bastille.




* Les temps sauvages, Ian Manook

jeudi 27 juillet 2017

L'Abysse (4)

"L’utilité générale, dites-vous ! mais est il rien d’utile que ce qui est juste et honnête ? et cette maxime éternelle ne s’applique-t-elle pas surtout à l’organisation sociale ? et si le but de la société est le bonheur de tous, la conservation des droits de l’homme, que faut-il penser de ceux qui veulent l’établir sur la puissance de quelques individus, et sur l’avilissement et la nullité du reste du genre humain ? Quels sont donc ces sublimes politiques qui applaudissent eux-mêmes à leur propre génie, lorsque, à force de laborieuses subtilités, ils sont enfin parvenus à substituer leurs vaines fantaisies aux principes immuables que l’éternel législateur a lui-même gravés dans le cœur de tous les hommes?"*


Platon repense à ces représentations qu'ils firent, lui et quelques comparses rescapés du naufrage lors de mémorables spectacles dans le cirque qu'ils fondèrent. 

– Tout alors était si étrange et tant .... qu'il n'y eu personne qui sache poser la vraie question. Celle qui eut pu faire que le naufrage qui allait advenir eut pu être évité. Ce ne fut certes point faute de délibérations, de résolutions ou de négociations, non ce fut faute de savoir exprimer, partager et surtout d'accepter la diversité des points de vue. Du moins à courte échéance. Dans les brouillards épais de l'esprit, chaque argument laissait place à son contraire et le panache des uns rejoignait le panache des autres tels des pirates à l'assaut de leur propre bateau si bien que l'on entendit plus que l'on ne vit alors l'impensable: les canons de tribord furent retourné vers bâbord et les canons de bâbord furent retourné vers tribord. Seule cette valse ne fut point sans une sorte de grâce. Il est facile d'imaginer ce que la moindre étincelle, qui ne manqua point, était capable de faire.




Étrange idée:
"Le vrai peut exister indépendamment de ce en quoi elle s'incarnerait..."**
Des années plus tard, Platon l'Ancien, devenu à son tour un"surveillant" s'acharne quotidiennement à mettre de l’ordre dans ses idées:
 
– Qu'est-ce que le vrai? Est-il nécessairement juste? Le juste n'est-il point une des qualifications ou le résultat d'un discours moral?







*   Robespierre

**  D'après Platon 



L'abysse (3)

« Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi où je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; et comme l’hypocrisie, sans doute, en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, j’avais eu. Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisais une comédie qui décriât les hypocrites, et mit en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux-monnayeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistiquée.»*



 – Si les perspectives se modifient ce n'est pas sans intérêts.

Sans autres préliminaires, revenons quelque mois en arrière. Platon exerce sa mémoire à propos L'Abysse, bateau bien-aimé sur lequel il tente de naviguer. Chacun devrait se rendre compte à quel point il est difficile de rendre compte... Telle pourrait être la première des devises. Ce ne serait point là un exercice si léger qu'il apparait, mais il se trouva que cela ne fut fait qu'en de bien rares occasions. En dehors des bien rares secrétaires qui ont écrit –est-ce là le bon mot?– l'histoire de cette épopée finissante.
Sur le point d'expier cruellement les libertés de langage qu'il s'était lui-même attribuées, Platon sait qu'au travers des surprises et des péripéties toujours nouvelles il se peut que se fasse jour un immensité cachée non par la réalité mais tout au contraire par une sorte d'imagination à l'envers qui ne fait rien apparaitre mais au contraire masque en l'attirant à la manière dont on imagine des trous noirs des pans entiers de manifestations que l'on a précisément peine à imaginer ou simplement dont l'on a pas l'habitude.







* Lettre de Molière (extrait) à Louis XIV 


 

mercredi 26 juillet 2017

L'Abysse (2)






Platon se souvient des histoires qu'on lui a raconté et qui ont bercé son enfance. Il se souvient surtout de celle de "L'Abysse". Du fait d'avoir déjà beaucoup vécu en peu de temps, "L'Abysse", bateau de construction récente, ressemble déjà à ces bateaux qui traîne le long des quais, abandonnés, presqu'en ruine et dont on voit qu'ils sont des rescapés de discrets, voir invisibles, naufrages.




Qui peut savoir ce qui se cache derrière les rochers polis
par les vagues se jetant furieusement à l'assaut de la jetée?


De fait, ces bateaux sont gardés par des hommes en armes. Certes ce sont des armes de pacotille et tout le monde fait semblant, mais tout de même... La mission des surveillants est de faire en sorte que le silence règne pour que puissent s'accomplir les vœux de chacun et surtout pour que le travail puisse se faire bien à l'abri des regards... Justement tout est affaire de regards... et d'entendements...
Le surveillant a les yeux et les oreilles grandes ouvertes pour le ciel mal peint du plafond. Plafond où avait pris place un pauvre ciel. Il s'en échappait, quand il ne pleuvait pas, quelques poussières qui tombaient, scintillaient et scintillent encore dans l’eau frissonnante.


Dans un verre à moitié ou deux fois trop grand, le premier de ces surveillants voit l’image et sa voix se casser. D’un lent et long mouvement il fait tournoyer le liquide et dans la vague qui se forme voit la tempête arriver. Il accorde la parole et dans le temps se dissolvent les cycles et les pensées. Chacun, en son grade et qualités, gravit les marches une à une, salue ce qu’il va détruire, dit l’introït d’abord, le prêche ensuite. Il est entraîné par le rythme de sa propre voix qui le porte. Quand il a dit, il rend la parole et reprend son chemin. Chaque voix dans la balance se pose et tout est compté. Au fil du droit et en l’absence de toute beauté, le poids du nombre, puissance passagère, l’emporte.


L'abysse (1)

 L’ambition ne devrait pas dépasser
la démonstration des compétences...

Proverbe campagnol




Bien avant avant que la petite troupe de Platon l'Ancien ne devienne l'équipage du flamboyant "L'Abysse", elle s'était constituées dans les vestiges d'un ancien théâtre très couru en ce temps là et déjà fort décrépi en ce qui concerne ses fondements. Cette petite troupe, lasse de ne point jouer de pièces à leur convenance se réunissait souvent pour jeter les bases d'un théâtre magnifique. Chacun s'était réjoui d'apporter sa pierre à l'édifice. Des pierres qu'il suffisait de ramasser parmi les ruines nombreuses qui jonchaient la vieille bâtisse. Ils s'étaient répartis les rôles selon l'ancienne convenance et deux d'entre eux s'étaient chargé de la mission de surveillance.

mardi 25 juillet 2017

L'invisible

– « Ah, vous voilà, monsieur le philosophe ! »*

L'invisible ne dissimule rien. Si, quand les projecteurs sont allumés, le clown blanc doit perdre ses couleurs pour donner à voir  ce qui est l’Essence de son rôle: faire régner l'ordre et la morale. Ce qui se cache derrière restera concrètement invisible.

 Certains l'auront compris, ce n'est pas vraiment ce que pense Platon l'Ancien, qui ne veut pas être seulement « composé de hauteur et de bassesse, de bon sens et de déraison »* à propos de l'ordre et de la morale. Et non de l'invisible, ni de ce qui est caché.

Et voilà qu'en à peine quelques lignes le paradoxe a déjà fait son nid...



À chaque instant le monde change.


Il faut un certain temps pour que ce qui nous impressionne parcourt le chemin qui le mène au cerveau.


Même si ce temps est extrêmement court, il fait que l'image qui se constitue dans le cerveau est déjà dépassée par ce qui se passe au dehors...

Le cerveau fait alors ce qu'il sait faire le mieux: il invente... ou pour mieux dire: il imagine.



* Le neveu de Rameaux, Diderot










Le clown blanc

"La réalité concrète en tant que telle n’est pas l’objet de la connaissance scientifique. Le savoir scientifique ne retient du réel que ce qu’il y trouve de semblable et de répétable; et ce semblable et répétable qu’il retient il l’idéalise dans des formules déductives de relations nécessaires."

L'invisible ne dissimule rien. Quand les projecteurs sont allumés, le clown blanc doit perdre ses couleurs pour donner à voir  ce qui est l’Essence de son rôle: faire régner l'ordre et la morale. Ce qui se cache derrière restera concrètement invisible.





lundi 24 juillet 2017

Lâcher prise

"Dans la mesure, en effet, où l’on aura repéré dans le réel des relations constantes entre des phénomènes de telle façon que ces relations puissent être déduites de principes généraux, on pourra de plus en plus sûrement et efficacement prévoir et aussi produire ou éviter ces phénomènes et ainsi «se rendre comme maître et possesseur de la nature" (Descartes). Or, trop privilégier dans le réel ses aspects répétables de façon à ne retenir que ce qui est commun et prévisible pour promouvoir à tout prix la tranquillité de bien être et de la sécurité par les moyens de la technique qui sont les mises en œuvre de la science, et tout cela, quitte à sacrifier tout ce qui dans la réalité comporte de différences
(diversités) et d’inattendu (changement) composantes essentielles de la vie et de l’existence, c’est susciter un cancer mortifère qui entame déjà sérieusement notre culture occidentale et risque de finir par dévorer le monde (Michel Henry « La barbarie »)."




«L'essence de la philosophie est précisément privée de sol (bodenlos) quant à ses propriétés particulières et, pour y accéder, si le corps exprime la somme des propriétés particulières, il est nécessaire de s'y précipiter à corps perdu (sich à corps perdu hineinzustürzen).»

Hegel

Dans le jonglage il y a un moment quelle jongleur apprend à toucher qui est le point de suspension. Ce moment qui, une fois lancé l’objet en l’air atteint le sommet de la parabole et chute. Ce moment s’appelle le point de suspension.

– J’ai voulu moi-même me mettre à ce point de suspension, nous Platon l'Ancien. C’est ce qui arrive au plongeur quand ayant sauté sur le bout de la planche celle ci le projette dans le ciel. Arrivé au sommet de la parabole juste avant de chuter, serait-il possible que un autre phénomène se produise?

Chaque plongeur sait, comme le jongleur, qu'à chaque fois qu’il s'élance il se produit un temps comme suspendu en l’air et dans le temps. Un moment parfait dans lequel le corps n’a plus de poids. Tout l’apprentissage consiste à maîtriser l’instant, qui par nature est de courte durée, pour que, par l’esprit, ils se prolonge. Pour cela il faut complètement lâcher prise.



L'équipage du Cap'tain

"Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais-Royal. C’est moi qu’on voit, toujours seul, rêvant sur le banc d’Argenson. Je m’entretiens avec moi-même de politique, d’amour, de goût ou de philosophie. J’abandonne mon esprit à tout son libertinage. Je le laisse maître de suivre la première idée sage ou folle qui se présente, comme on voit dans l’allée de Foy nos jeunes dissolus marcher sur les pas d’une courtisane à l’air éventé, au visage riant, à l’oeil vif, au nez retroussé, quitter celle-ci pour une autre, les attaquant toutes et ne s’attachant à aucune. Mes pensées, ce sont mes catins."*

Le Cap'tain possède de grandes qualités en abondance, particulièrement celles de plaire et plus précisément toutes celles les plus à même d'être désirées. C'est pourquoi il n'a aucune peine à séduire et à diriger. Cependant cette assurance tranquille dissimule une crainte profonde. En apparence intouchable et sûr de lui, il escamote brillamment une crainte profonde, celle de ne pas être aimé. C'est pourquoi il s'entoure de personnalités attachantes avec lesquelles il joue. Parmi celles-ci, l'une des plus remarquables, remarquée par ailleurs, est le Docteur Joy, surnommée Doc'Joy et qui devrait faire partie, épisodiquement, de l'équipage du Cap'tain... Laissons-le se présenter:



– Une vie uniforme serait une vie ennuyeuse. En vérité, la vérité est bariolée. Regardez-moi, je viens des campagnes où j'ai construit une intériorité, puis, comme beaucoup d'autres, je suis allé vers d'autre cieux... Mais pas d'angélisme, il y a des fossés qu'il ne faut pas hésiter à franchir... sans pourtant voir qu'il qu'il y aurait des problèmes partout. Ensemble brisons-là tous ces tabous qui sont nos chaînes, à commencer par la richesse, le plaisir et la réussite! Cessons de craindre ce qui ne peut que nous mettre en joie! Il faut être serein et raison garder. Rester actif jusqu'au bout, rejeter la morale, faire gagner la démocratie... tout en restant modeste... à sa place et travailler dans l'ordre. Je brûle de naviguer sur cet ambitieux navire, voguer sur les mers et dans le ciel, en route vers la Lumière des Origines.

– Cher Docteur Joy, êtes-vous ambitieux?

– Mes compagnons me considèrent comme tel... mais il est important que l'ambition ne dépasse point la démonstration des compétences... 

– Et qu'en est-il de l'humilité?

– Il est des choses qui vont de soi et je n'ai nul besoin d'avoir cette ambition-là... 



* Le neveu de Rameau, Denis Diderot







dimanche 23 juillet 2017

Bien avant


"Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile. Pour moi, je ne cherche pas à y être seul. J'y suis souvent allé avec ceux que j'aimais et je lisais sur leurs traits le clair sourire qu'y prenait le visage de l'amour. Ici, je laisse à d'autres l'ordre et la mesure. C'est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m'accapare tout entier. Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l'homme, sont rentrées dans la nature. "*





Le Cap'tain allait souvent au large avec ceux qu'il aimait. Il lisait sur leurs visages le "clair sourire" qu'il avait eu lui-même lorsque étant jeune il avait vu ce spectacle pour la première fois.  Le sourire qui immanquablement s'y installait prenait le "visage de l'amour"*. Mais personne ne le savait, ce que guettait et attendait avec impatience Platon, encore enfant bien que costaud, bien avant que son imagination ne mit en scène le Cap'tain, était une vague très particulière. Une de ces vagues qui ne laissent généralement point de témoin derrière elle.


* Albert Camus, Noces





samedi 22 juillet 2017

Harmonie

Nous avons l'habitude de considérer le monde comme s'il était le résultat d'une longue évolution qui serait arrivé à son terme et que rien de nouveau ne pouvait arriver. Pour le Cap'tain, cette évolution se mesure comme une symphonie. Mesure par mesure, notes après notes, la hauteur d'une vague correspondant à la hauteur d'une note, la symphonie s'écrit et se réécrit inlassablement. La musique et la discipline qu'elle exige est primordiale... Sans elle, point de salut et surtout point d'harmonie... Mais qui connait l'harmonie des vagues connait un secret bien plus grand encore. Le Cap'tain sait à quel point les nombres sont essentiels. Ainsi en est-il des vagues et de leur nombre. Une vague seul n'est rien d'autre qu'un phénomène passager.  Deux vagues commencent un dialogue mais ce dialogue n'a de sens que lorsqu'une troisième apparait. C'est ainsi que se dirigent les mouvements divers du monde du Cap'tain. Mais trois vagues si elles dirigent ne forment aucun monde, il en faut cinq pour que s'éclaire enfin l'amorce d'un monde nouveau.





– Un monde lumineux certes, mais parfaitement imparfait encore. Il  manque encore deux vagues pour qu'enfin la série soit complète tout comme la gamme comporte sept notes avant que n'apparaisse ce qui va se reformer avec justesse et perfection préparant avec constance l’avènement d'un monde nouveau.






Le tout à l'aune de son monde


Pendant que son esprit vogue au large, le Cap'tain caresse les vagues du regard et par l'effet de sa volonté, du moins le croit-il, les vagues se mettent à l'unisson et forment une chaîne sans fin. À peine l'une meure qu'une autre à ses côtés s'élève avec ce léger décalage  qui fait percevoir une continuité dans le regard. Les unes et les autres ne font plus qu'une ronde qui se reproduit: l'une est l'autre et l'un est l'autre...



– Je suis celui en qui tout le monde doit se retrouver puisque je suis le monde... et puisque j'obéis à cette idée, vous aussi vous obéirez... C'est à ce prix que reviendra la lumineuse prestance de notre paquebot. 


"Quand la réalité ne le contente plus, l'homme, par le rêve, lui échappe ; il se dessine, il poursuit à travers l'idéal un état meilleur. Et il a raison ; car cette réalité dont il souffre n'a rien de défini ; car ce n'est pas en vain qu'au-dessus de toute réalité l'esprit reste libre ; et pour que l'état meilleur devienne réalité à son tour, il faut que longtemps d'avance il ait été pressenti, espéré, conçu dans l'idéal, réalisé dans l'imagination. Le désir qui, sous sa condition normale et légitime, se confond dans l'espérance, est donc véritablement, ainsi que le Christianisme l'a entrevu, l'une des forces fondamentales de la vie humaine. C'est le lieu de l'avenir avec le présent, c'est l'aile motrice de la vie, comme la Foi en est la lumière, comme l'Amour en est le repos et la plénitude. Si ce n'est peut-être de nos jours, où tant de printemps sans fleurs annoncent des automnes sans fruits, quel homme n'a point rêvé ?"*




Le Cap'tain, qui ne l'est pas vraiment, lui aussi se place au dessus de la réalité... Du moins pense-t'il pouvoir le faire. Platon, lui qui n'est plus un enfant sait fort bien qu'il est impossible d'être au-delà de toute réalité. Par contre le concept même de réalité peut être remis en question. 


– Si je peux, il peut... vous pouvez... nous pouvons.

 

Et la réalité de l'un, le Cap'tain, devient la réalité de l'autre prouvant ainsi, empiriquement, la plasticité du concept et la plasticité de son cerveau... Le tout à l'aune de son monde. Un monde qu'il pense infini et dans lequel il ne perçoit aucune frontière.



*L'Encyclopédie nouvelle de Pierre Leroux et J. Reynaud



vendredi 21 juillet 2017

La Grande Peur du Cap'tain



"Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. À certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L'odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. À peine, au fond du paysage, puis-je voir"...*

De sa propre nature, le Cap'tain est musicien:
– J'aime quand l'ordre des choses se met à vibrer,
aime-t'il répéter comme le refrain d'une chanson.



Le Cap'tain aime le monde. C'est un homme souriant qui aimerait être bienveillant. Il aime aussi le monde des hommes. Les vrais. Le monde de ceux qui, comme lui, aiment que le monde des femmes soit à sa place... Certes –lui arrive-t'il de songer, peut-être sans contrainte, du moins le croit-il ainsi– il aime et recherche leur compagnie, mais il craint les "mésonges" contenus dans ce qu'il appelle leurs appâts, tous faits d'un étrange et fastueux mélange d'attirance et de répulsion...


– Je connais la musique: aucun homme ne peut résister aux pièges qu'elles nous tendent et plus aucun de nous ne peut plus être celui qu'il doit être si nous les laissions être ce que nous sommes. Imaginez un monde ou elles auraient pris le pouvoir. Imaginez qu'il leur passe par l'esprit de devenir "comme des hommes" et que l'idée leur vienne, comme un mal étrange, de nous enlever nos droits...

"Sous le soleil du matin, un grand bonheur se balance dans l'espace."*




* Albert Camus, Noces, Les Éditions Gallimard 




Dans le secret de ses pensées

« En un Petit corps gît souvent grande puissance. Ce qu’entendra le lecteur lisant ce livre que j’ai traduit & mis en apparence, pour d’aucun sots l’erreur ne faire vivre : car il démontre à l’œil ce qu’il faut suivre, ou rejeter touchant faits admirables, tend à ce que l’art imitant nature, peut bien ce là que maints estiment fables, gens hors raison, & d’inique censure. »*



On peut, tout comme Roger Bacon, se demander qui des deux est le plus puissant, ou nature ou art? On peut se risquer à répondre ou ne point prendre de risque et simplement appliquer ce que l'on nous enseigne... Ou prendre un plus grand risque encore, que dis-je: avoir l'audace de postuler qu'il pourrait ne pas y avoir de différence... C'est ce que le Platon l'Ancien, qui n'est plus un enfant mais qui le redevient par moments, entend, sans pour cela être hors raison, dans le secret de ses pensées. 
Platon se rêve souvent dans la peau du Cap'tain et plus souvent encore dans celle d’un professeur dont il imite à merveille la nature…

– L’art d’imiter n’est pas une imitation... au vu et su de ce qui précède, je ne pense pas que ce soit un sujet dont, en soi, le choix surprenne, encore qu'il puisse, pour certains, laisser ouverte la question de savoir ce que je pourrai bien mettre là-dessous**... ou là-dessus...







* Jacques Girards de Tournus
Traducteur de l’ouvrage de Roger Bacon :
De l’admirable pouvoir et puissance de l’art


** L'éthique de la psychanalyse, Jacques Lacan, Séminaire 1959-1960




jeudi 20 juillet 2017

Hébétation et plénitude de l'égaré

"L'homme, ministre et interprète de la nature, n'étend ses actions et ses connaissances qu'à mesure de ses observations, par les choses ou par l'esprit, sur l'ordre de la nature ; il ne sait ni ne peut rien de plus."*



– Moi aussi je commande en obéissant...


Le Cap'tain Gabar, lui aussi, comme le dit Francis (ci-dessus) ne sait ni ne peut rien qui ne dépende uniquement de ses observations... 
Dans le plus grand des secrets, bien à l'abri des regards, il quitte son costume de parade, et de grand positiviste qu'il est redevient l'enfant qu'il a été et plonge littéralement dans des ouvrages dont il reconnait lui-même qu'ils le dépassent mais charment ses sens toujours en éveil... 

"Mais le plus grand obstacle et le plus grand égarement de l'entendement humain provient de l'hébétation, de la grossièreté et des déceptions des sens. De la sorte, ce qui frappe les sens l'emporte sur ce qui, même préférable, ne les frappe pas immédiatement. De là vient que la spéculation cesse communément quand cesse la vision, au point qu'il n'y a guère d'examen, voire aucun, des choses invisibles.
[...]
Car par eux-mêmes les sens sont quelque chose de faible et d'égarant ; et les instruments employés pour les aiguiser et pour en étendre la portée ont peu d'effet. Mais toute interprétation plus vraie de la nature s'obtient à l'aide d'instances et d'expériences convenables et appropriées. Là, les sens jugent de l'expérience seule ; l'expérience, de la nature et de la chose même."*





* Francis Bacon, Novum Organum

mercredi 19 juillet 2017

Poursuite



« Savoir pour prévoir, prévoir pour pouvoir »*

 

"J'aimerais vous transmettre cet héritage, puisque toutes les existences se superposent. Les existences coïncident. Nous avons les mêmes existences : l'enfance, l'adolescence, les parents, les grands-parents, le vieillissement, la disparition, la mort, la mort des gens qu'on aime. Tout le monde a vécu ça. Tout le monde vit ça, chacun le vit à sa manière. Et effectivement, il n'est pas question de dire "vivez comme moi" mais " voyez comment on peut vivre et faites quelques choses à partir de cet exemple-là", comme d'autres sont des exemples. Et à partir de ce moment-là, vous verrez que la philosophie est une invitation à la sagesse pratique. C'est une invitation existentielle. **



– Platon l'Ancien, lui aussi pourrait être un exemple....
– Oui, un exemple à ne pas suivre... où courent-ils?
– Le savent-ils eux-mêmes?
– Oui, c'est bien de cela qu'il est question. L'ont-ils seulement prévu?
– Et "prévoir c'est pouvoir"...
– Mais dites-moi, ne serait-ce pas l'essence même de ce que disaient hier, cet homme qui porte le ridicule nom de Socrate et qui se trouve sur l'île que nous voyons dans notre dos?
– Euh, nonobstant notre devoir, si je puis me permettre, je ne trouve pas que ce nom soit ridicule...
– Ce n'est pas le nom qui est ridicule mais le fait de le porter.
– Si je puis insister, à mon avis, il n'y est pour rien... Mais dites-moi, pourquoi n'ont-ils pas su comprendre le bien que nous leur destinons et pourquoi n'avons-nous pas su les convaincre que la domination qu'ils devraient subir, pour leur bien, encore une fois, est tout ce qu'il y a de plus logique, normale et juste? Dans le monde il y a ceux qui dominent et ceux qui sont dominés, n'est-il pas vrai?
– On peut difficilement en douter...


Il a été bien entendu, dès l'abord, que nous sommes en pleine fiction... Mais qui sont ces deux hommes qui suivent Socrate, Platon l'Ancien encore enfant et le Cap'tain Gabar, non encore élu, qui résistent tant et plus depuis des années, et cela dans le plus grand des secrets à la lente, progressive et irrémédiable marche du temps?



* Francis Bacon

** Michel Onfray









Elevé de corps... et surtout d'esprit





Sur une île, perdue au milieu de l'immensité, non loin cependant de celle de Platon l'Ancien et du Cap'tain Gabar, un homme portant la lourde charge de se nommer Socrate, se démène du mieux qu'il peut, mais avec largesse.

– Posons d’abord, en ce qui concerne les phénomènes et surtout ceux qui nous touchent, qui posent questions et, dirions-nous, qu'il faudrait poser avant de commencer toute chose...



Naturellement, il sait que la moindre des choses est en soi déjà, la résultante d'un phénomène, mais nul n'est censé s'obstiner à comprendre le début de toutes choses... Ce qui fait que dès le début, l'impossibilité de comprendre a pris place dans son esprit et le risque de se perdre dans cette impossibilité peut à tous moments de prendre le dessus.

– Avons-nous existé toujours? N’y a-t-il pas eu un commencement bien avant notre naissance? comme le dit Socrate. Celui dont je porte le nom. Tout a-t-il commencé à partir d’un certain terme initial dont nous serions, en quelque sorte une des fins possible ?


Pour répondre honnêtement il faudrait dès l'abord retrouver la simplicité de l'âne... par exemple et non par conviction... Ce qui est fort difficile...


– Mon Maître que je porte au mieux, je ne suis, de par ma condition, point assez élevé de corps et surtout d'esprit pour vous répondre !

mardi 18 juillet 2017

Nature éphémère



S'il nous arrive de réfléchir sur la "nature éphémère" des phénomènes et que de diverses manières nous en parlions, sommes-nous sûrs pour autant que nous parlions de quelque choses que nous comprenons? À vrai dire, une chose serait le phénomène et une autre serait le fait d'en parler... Mais il pourrait y avoir pire, ce serait le fait que tout phénomène serait incompréhensible pour la simple raison que cette compréhension loin de décrire, comprendre, expliquer, démontrer le phénomène en produit un autre... qui... à son tour...

lundi 17 juillet 2017

(17) Socrate





– "On ne saurait rappeler trop souvent à l'humanité qu'il a existé autrefois un homme du nom de Socrate, et qu'il y eut, entre celui-ci et les autorités et l'opinion publique de son temps, un affrontement mémorable.  Né dans un siècle et dans un pays riche en grandeur individuelle, l'image qui nous a été transmise par ceux qui connaissaient le mieux à la fois le personnage et son époque, est celle de l'homme le plus vertueux de son temps; mais nous le connaissons également comme le chef et le modèle de tous ces grands maîtres de vertu qui lui furent postérieurs, tout à la fois la source et la noble inspiration de Platon et de l'utilitarisme  judicieux  d'Aristote,  « i maëstri di color que sanno », eux-mêmes à l'origine de l'éthique et de toute philosophie. Ce maître avoué de  tous  les  éminents  penseurs qui vécurent  après  lui -cet homme  dont  la  gloire  ne cesse de croître depuis plus de deux mille ans et éclipse celle de tous les autres noms qui  illustrèrent sa ville natale -fut  mis à mort par ses concitoyens après une condamnation juridique pour impiété et immoralité. Impiété, pour avoir nié les dieux reconnus  par  l'État; en  effet, ses accusateurs affirmaient (voir l'Apologie) qu'il ne croyait en aucun dieu. Immoralité, pour avoir été par ses doctrines et on enseignement le « corrupteur de la jeunesse ». Il y a tout lieu de croire que le tribunal le trouva en conscience coupable de ces crimes; et il condamna à mort comme un criminel l'homme probablement le plus digne de mérite de ses  contemporains et de l'humanité."*






*  De la liberté,John Stuart Mill
Extraits du chapitre II
De la liberté de pensée et de discussion


dimanche 16 juillet 2017

(16) Confiance illimitée

Les choses se compliquent pour la saine compréhension de notre histoire. Un deuxième perroquet est venu s'installer sur les ruines du rafiot de Platon l'Ancien qui, lui, a disparu derrière les perroquets qui parlent tour-à-tour sans que le poisson-étoile ne puisse distinguer autre chose que la voix de Platon contrefaite à la perfection par les deux volatiles...




– "Les  hommes  les  plus  heureusement  placés  qui voient parfois leurs opinions disputées, et qui ne sont pas complètement inaccoutumés à être corrigés lorsqu’ils ont tort, n'accordent  cette  même  confiance  illimitée  qu'aux opinions  qu'ils  partagent  avec  leur  entourage,  ou  avec  ceux  envers  qui  ils  défèrent habituellement; car moins un homme fait confiance à son jugement solitaire, plus il s'en remet implicitement à l'infaillibilité « du monde » en général. Et le monde, pour chaque individu, signifie la partie du monde avec laquelle il est en contact : son parti, sa secte, son Église, sa classe sociale. En comparaison, on trouvera à un homme l'esprit large et libéral s'il étend le terme de « monde » à son pays ou son époque. Et sa foi dans cette autorité collective ne sera nullement ébranlée quoiqu'il sache que d'autres siècles,
d'autres  pays,  d'autres  sectes,  d'autres  Églises,  d'autres  partis  ont  pensé  et  pensent encore exactement le contraire. Il délègue a son propre monde la responsabilité d'avoir raison face aux mondes dissidents des autres hommes, et jamais il ne s'inquiète de ce que c'est un pur hasard qui a décidé lequel de ces nombreux mondes serait l'objet de sa  confiance,  et  de  ce  que  les  causes  qui  font  de  lui un  anglican  à  Londres  sont  les mêmes qui en auraient fait un bouddhiste ou confucianiste à Pékin. Cependant il est évident, comme pourraient le prouver une infinité d'exemples, que les époques ne sont pas   plus   infaillibles que   les   individus,   chaque   époque   ayant   professé   nombre d'opinions  que  les  époques  suivantes  ont  estimées  non  seulement  fausses,  mais absurdes. De même il est certain que nombre d'opinions aujourd'hui répandues seront rejetées  par  les  époques  futures,  comme  l'époque  actuelle  rejette  nombre  d'opinions autrefois répandues."*



*  De la liberté,John Stuart Mill
Extraits du chapitre II
De la liberté de pensée et de discussion


samedi 15 juillet 2017

(15) Infaillibilité

Le perroquet, ayant pris la place de Platon l'Ancien, et le poisson:

Vous ne voyez pas ce que c’est ?

N'y ayant vu que du feu, le perroquet se mit à faire ce qu'il sait le mieux faire: répéter. Répéter avec application et rigueur. La rigueur absolue de l'être élu. Encore faut-il lui rendre hommage à propos de ses choix. Il ne répète pas n'importe quoi. Ce en quoi il manifeste tout de même une certaine forme d'intelligence...




– "Premièrement, il se peut que l'opinion qu'on cherche à supprimer soit vraie: ceux qui  désirent  la  supprimer  en  contestent  naturellement  la  vérité,  mais  ils  ne  sont  pas infaillibles. Il n'est pas en leur pouvoir de trancher la question pour l'humanité entière, ni  de  retirer  à  d'autres  qu'eux  les  moyens  de  juger.  Refuser  d'entendre  une  opinion sous  prétexte  qu'ils  sont  sûrs  de  sa  fausseté,  c'est  présumer  que leur certitude  est  la certitude absolue.
Étouffer une discussion, c'est s'arroger  l'infaillibilité.

Cet argument commun suffira à la condamnation de ce procédé, car tout commun qu'il soit, il n'en est pas plus mauvais. Malheureusement pour le bon sens des hommes, le fait de leur faillibilité est loin de garder dans leur jugement pratique le poids qu'ils lui accordent en théorie. En effet, bien que chacun se sache faillible, peu sont ceux qui jugent nécessaire de se prémunir contre cette faillibilité, ou d'admettre qu'une opinion dont ils se sentent très sûrs puisse être un exemple de cette erreur. Les princes absolus, ou quiconque accoutumé à une déférence illimitée, éprouvent ordinairement cette entière confiance en leurs propres opinions  sur  presque  tous  les  sujets." *




*  De la liberté,John Stuart Mill
Extraits du chapitre II
De la liberté de pensée et de discussion



vendredi 14 juillet 2017

(14 ) Un petit cercle d'idées

« Le petit cercle de ses idées se rétrécit encore, et le carillon des cloches, le mugissement des bœufs n'existaient plus ! Tous les êtres fonctionnaient avec le silence des fantômes. Un seul bruit arrivait maintenant à ses oreilles, la voix du perroquet. »*



Une foule de voix dans laquelle je reconnaissais la mienne était là, tapie dans une ombre invisible, qui attendait ma parole. Le perroquet était revenu se placer au côté de Platon l'Ancien, dont on ne devrait plus dire qu'il n'est plus un enfant...
Un dialogue s'engage entre le poisson qui n'y voit presque rien et qui, entendant la voix de Platon imitée à la perfection par le perroquet est persuadé que c'est lui qui parle. Naturellement il s'ensuit un quiproquo fort prévisible. L'histoire de l'un n'est pas l’histoire de l'autre. Mais la capacité d'adaptation et d'imitation de certains est impressionnante... Leur foi est intraitable. En silence toutes les voix attendent que je leur apprenne pourquoi j'ai décidé de me taire.






* Trois contes, Gustave Flaubert

jeudi 13 juillet 2017

(13) Surgissement de la mémoire

« A mesure que nous cherchons davantage à nous installer dans la pensée du philosophe au lieu d'en faire le tour, nous voyons sa doctrine se transfigurer. D'abord la complication diminue. Puis les parties entrent les unes dans les autres. Enfin tout se ramasse en un point unique, dont nous sentons qu'on pourrait se rapprocher de plus en plus quoiqu'il faille désespérer d'y atteindre.
En ce point est quelque chose de simple, d'infiniment simple, de si extraordinairement simple que le philosophe n'a jamais réussi à le dire. Et c'est pourquoi il a parlé toute sa vie. Il ne pouvait formuler ce qu'il avait dans l'esprit sans se sentir obligé de corriger sa formule, puis de corriger sa correction – ainsi, de théorie en théorie, se rectifiant alors qu'il croyait se compléter, il n'a fait autre chose, par une complication qui appelait la complication et par des développements juxtaposés à des développements, que rendre avec une approximation croissante la simplicité de son intuition originelle. Toute la complexité de sa doctrine, qui irait à l'infini, n'est donc que l'incommensurabilité entre son intuition simple et les moyens dont il disposait pour l’exprimer.» *


Était-ce dû à la fatigue, au scintillement de l'eau, à la mélancolie ou encore Dieu seul saurait quoi d'autre encore, toujours est-il qu'un poisson-étoiles surgit des profondeurs, ou alors de sa mémoire, et s'adresse à lui:






* Henri Bergson,  La Pensée et le mouvant, 1934

mercredi 12 juillet 2017

(12) Prospective

«- Il se vend mieux qu’une fiction.
- Fiction!, répondit-il avec colère. C’est une fiction!
- En un sens oui», admis-je
- En un sens? C’est de la fiction! Il remplit toutes les conditions de la fiction, c’est un doux et long mensonge. Vous appelleriez ça une transposition du réel, des faits?
- Non, répondis-je calmement. J’appellerai ça de la non-fiction. La non-fiction est une forme de littérature qui se tient en équilibre entre la fiction et le réel.» *





 Entre la fiction et ce réel que l'on invente en permanence, prévoir l'avenir n'est pas une chose aisée. Qui pourrait prétendre à cela? En tous cas, Platon l'Ancien ne le peut pas. Assis sur les ruines d'un passé qui, il le sait, ne reviendra pas si ce n'est dans l'imagination maladive du prisonnier, il médite.

– Il reste que nous pourrions établir des scénarios. Tel le romancier devant sa page, nous pourrions prendre les personnages comme l'équipage d'un navire. C'est précisément ce que qui s'est passé sur notre navire. Le Très Révéré Consortium des Anciens, ou les Sublimes et Remarquables Fondateurs, tous à égalité, membres éminents d'entités dans lesquelles ils eurent la bonté de faire une petite place à ceux qui pour le moins devaient servir leurs intérêts en les faisant leurs, décida un beau jour, enferré dans leurs convictions et incapable d'une écoute minimum,  de répondre par la force à la revendication, pourtant légitime sur le fond bien que critiquable sur la forme, selon eux, d'un groupe de sans grade. Certains étaient de simples matelots, apprentis encore pour certains, dont la mission principale est de se taire "pour leur bien" accompagnés de matelots aguerris. Ainsi donc, harangués par certains Anciens, ils cessèrent de penser et d'écouter. C'est ainsi que fut mis en place, sans le savoir, à l'insu de leur plein gré, une sorte de catastrophe que personne n'a su voir venir et qui devait servir de base à ceux qui se servirent de l'occasion à pleine main, fort d'une rhétorique plus biaisée encore que celle de leurs soi-disant maîtres. Encore faut-il comprendre que certains des putschistes faisaient partie des membres fondateurs. Une lutte fratricide donc, digne de Abel et Caïn.





*

mardi 11 juillet 2017

(11) Pas de deux

«Ce qu'il y a de particulièrement néfaste à imposer silence à l'expression d'une opinion, c'est que cela revient à voler l'humanité: tant la postérité que la génération présente, les détracteurs de cette opinion davantage encore que ses détenteurs. Si l'opinion est juste, on les prive de l'occasion d'échanger l'erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent un bénéfice presque aussi considérable: une  perception  plus  claire  et  une  impression  plus  vive  de  la  vérité  que  produit sa confrontation avec l'erreur.»
«On ne peut jamais être sûr que l'opinion qu'on s'efforce d'étouffer est fausse; et si nous l'étions, ce serait encore un mal.»






La forme fait obstacle au mouvement. Elle fige l’instant qui aussitôt meurt et fait place au suivant. Étape par étape chacun a la possibilité d'escalader et de se jeter dans cet inconnu dans lequel nous baignons tous sans le savoir vraiment. Mettre, ne serait-ce qu'un pied dans l’incertitude, c’est prendre pied dans un royaume où tout resterait à construire. Pas forcément comme on pourrait l'imaginer à partir de rien, mais à partir de certains principes qui existent déjà mais dont la corruptibilité n'est plus à démontrer. Le difficile équilibre vient du fait que très vite certains dirigeants, au départ les plus à même de diriger, prennent à leur compte ce pouvoir sans se rendre compte de la corruption qui se produit en eux. 
C'est pourquoi le "pas de deux" qui régit la "lutte pour le piédestal" doit être rigoureusement conduite. Le rituel dit clairement que l'on ne doit point percevoir qui des deux candidats conduit la danse, pas plus que le mouvement ne doit, à aucun moment, s'arrêter.





*  De la liberté,John Stuart Mill
Extraits du chapitre II: De la liberté de pensée et de discussion»
 

lundi 10 juillet 2017

(10) Censure

"Réclamer la censure m’étonne toujours dans une démocratie. D’accord ou pas d’accord avec certaines opinions, toutes doivent pouvoir s’exprimer dès l’instant qu’elles ne contreviennent pas à la loi et à la dignité humaine. Il faut d’ailleurs les connaitre si on veut les combattre."*




 Faisant fi de la liberté de parole, insidieusement, depuis bien des années déjà et ce, bien avant les événements, une certaine forme de censure avait pris place dans l'esprit de la caste dirigeante du bateau. Il eut mieux valu que cette censure s'appliqua pour elle-même...













*Le médiateur de France Culture

dimanche 9 juillet 2017

(9) L'aube exaltée

"Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : Je sais le soir,
L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelques fois ce que l'homme a cru voir !" *







* Le bateau ivre, Rimbaud 1871 







samedi 8 juillet 2017

(8) L'âge adulte

Platon l'Ancien ne peut plus être un enfant. À peine était-il devenu Cap'tain Gabar que son vœu le plus cher avait été de revenir en arrière. Comme chacun le sait plus ou moins, ce n'est pas possible. Ainsi, se démarquant du fringant Cap'tain, c'est l'âge adulte qu'il atteint. Dès lors la moindre de ses paroles sera surveillée... pendant que le Cap'tain libéré poursuit sans entraves ses joyeuses et bienveillantes acrobaties... tout comme la branche s'abandonne aux caprices du vent.






– Je les revois ces pauvres surveillants au teint pâle, visages souriants aux sombres costumes, à la cravate dorée sur fond d'azur criard, à la main ferme resserrée sur le marteau comme les barbes d'une plume prisonnières de l'étau comme le sont les mots du Château. Pauvres murs doctes rideaux du ciel de traîne, poussières éparses, tout part en lambeaux... comme la flamme fuit la cendre.










vendredi 7 juillet 2017

(7) Piédestal





Dans le plus grand des secrets, le secret du presbytère Sacré par les Sacrés, sur le Grand piédestal des élus de l’île aux Cent-Noms, le Cap'tain retrouve, danse et chante les louanges du Grand et Respectable parmi le Respectables : Guisbert Briselarme, presque fantôme pour les intimes, qui se comptent sur les doigts d'une seule main.

jeudi 6 juillet 2017

(6) Les azurs verts

"J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands et de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

[...]
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ."*




Le Cap'tain est bon vivant et joyeux farceur et l'oiseau de bon augure. L'ombre du Commandeur plane encore mais en aucun cas il n'oublie ce qu'il s'est imposé et tente d'imposer... Il ne faut négliger ce qui doit être fait. C'est à tout va qu'il lance des ponts. Advienne que pourra. Les ponts sont lancés.


* Le bateau ivre, Rimbaud 1871