Doute

"Qui peut calculer ce que perd le monde dans cette multitude d'intelligences prometteuses doublées d'un caractère timide qui n'osent pas mener à terme un enchaînement d'idées hardi, vigoureux et indépendant de peur d'aboutir à une conclusion jugée irréligieuse ou immorale? Parmi eux, il est parfois des hommes d'une grande droiture, à l'esprit subtil et raffiné, qui passent leur vie à ruser avec une intelligence qu'ils ne peuvent réduire au silence, épuisant ainsi leurs ressources d'ingéniosité à s'efforcer de réconcilier les exigences de leur conscience et de leur raison avec l'orthodoxie, sans forcément toujours y parvenir. Il est impossible d'être un grand penseur sans reconnaître  que  son premier  devoir  est  de suivre son intelligence, quelle que soit la conclusion à laquelle elle peut mener."

En ce moment, Platon l'Ancien navigue à vue sur les restes ruinés de son petit bateau, non celui de plastic avec lequel, encore enfant il jouait sur la plage, mais celui qu'il vit construire durant sa presque adolescence, quelques années plus tard. Comme le plus souvent d'ailleurs, Platon est en plein doute.

– La mémoire sème le doute en permanence... Mon histoire, une histoire, sans doute elle-même semée de doutes, a un commencement. Mais il serait peut-être plus juste de parler au passé et dire qu'elle a eu un commencement. Cela semble plus rigoureux de dire d'une part, qu'elle aura encore des commencements et d'autres part qu'elle pourrait bien en avoir eu déjà plusieurs. Comment savoir et démêler ce qui est vrai de ce qui peut ne pas l'être?
Quand l'histoire se déroule, elle révèle, au fur et à mesure de ce déroulement, ce qui par avance ne peut être connu. Et pourtant pour que l'enroulement ait eu lieu, il a fallu que quelque chose passe ou se passe et qu'il ait été capté par l'histoire. 
Je recommence: pour éviter toute forme de présent, insatisfaisant d'un point de vue exigeant, car toute histoire est passée, quelques fois de très peu, il faudrait dire: "elle se déroula, elle s'est déroulée"*. Le début pourtant n'est pas le plus difficile. Il se trouve toujours dans le temps passé. Cependant ce temps , comble d'ironie est infini... ce qui fait que son déroulement est soumis à nos caprices tant les possibilités de commencements sont infinies.






* Sanatorium Europa, film de Julia Benkert