« A mesure que nous cherchons davantage à nous installer dans la
pensée du philosophe au lieu d'en faire le tour, nous voyons sa doctrine
se transfigurer. D'abord la complication diminue. Puis les parties
entrent les unes dans les autres. Enfin tout se ramasse en un point
unique, dont nous sentons qu'on pourrait se rapprocher de plus en plus
quoiqu'il faille désespérer d'y atteindre.
En ce point est quelque chose de simple, d'infiniment simple, de si
extraordinairement simple que le philosophe n'a jamais réussi à le dire.
Et c'est pourquoi il a parlé toute sa vie. Il ne pouvait formuler ce
qu'il avait dans l'esprit sans se sentir obligé de corriger sa formule,
puis de corriger sa correction – ainsi, de théorie en théorie, se
rectifiant alors qu'il croyait se compléter, il n'a fait autre chose,
par une complication qui appelait la complication et par des
développements juxtaposés à des développements, que rendre avec une
approximation croissante la simplicité de son intuition originelle.
Toute la complexité de sa doctrine, qui irait à l'infini, n'est donc que
l'incommensurabilité entre son intuition simple et les moyens dont il
disposait pour l’exprimer.» *
Était-ce dû à la fatigue, au scintillement de l'eau, à la mélancolie ou encore Dieu seul saurait quoi d'autre encore, toujours est-il qu'un poisson-étoiles surgit des profondeurs, ou alors de sa mémoire, et s'adresse à lui:
* Henri Bergson, La Pensée et le mouvant, 1934
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