mercredi 30 mai 2018

Théâtre de l'illusion


« Tout à fait entre nous, la servitude, souriante de préférence, est (…) inévitable. Mais nous ne devons pas le reconnaître. Celui qui ne peut s’empêcher d’avoir des esclaves, ne vaut-il pas mieux qu’il les appelle hommes libres ? Pour le principe d’abord, et puis pour ne pas les désespérer. On leur doit bien cette compensation, n’est-ce pas ? De cette manière, ils continueront de sourire et nous garderons bonne conscience. Sans quoi, nous serions forcés de revenir sur nous-mêmes, nous deviendrions fous de douleur, ou même modestes, tout est à craindre. Aussi, pas d’enseignes, et celle-ci est scandaleuse. D’ailleurs, si tout le monde se mettait à table, hein, affichait son vrai métier, on ne saurait plus où donner de la tête ! Imaginez des cartes de visite : Dupont, philosophe froussard, ou propriétaire chrétien, ou humaniste adultère, on a le choix, vraiment. Mais ce serait l’enfer ! Oui, l’enfer doit être ainsi : des rues à enseignes et pas moyen de s’expliquer. On est classé une fois pour toutes.»

Albert camus, La chute, Gallimard, 1956, p. 56-57




– On dit du théâtre qu'il est le lieu de l'illusion. En ce cas, je dirai que le monde est un théâtre dont nul pièce se joue si n'est en permanence... Qu'en pensez-vous?

– Eh bien  dites donc! Vous voilà devenu philosophe ou est-ce une illusion dans l'illusion? 

– Je vois que vous n'êtes pas en reste... 

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