jeudi 14 mai 2020

(14) Nature première





– Vous arrive-t-il de vous sentir perdu?
– Cela m’arrive...
– Vous vous répétez!
– Non, je ne fais que répéter… Où sommes-nous?
– Cela dépend... je vous l’ai déjà dit…
– Répétez, je vous prie… De quoi cela pourrait-il dépendre?
– Des circonstances... Je le répète… Selon les circonstances, jamais les mêmes, les lieux, la distance ou l’angle sous lesquels la chose, de près ou de loin, molle dans sa caverne, nous apparaît...
– Je ne vois toujours pas...
– Elle est comme l’oursin dans sa piquante coquille, oscillante comme l’hermaphrodite escargot en sa frêle et géométrique maison ou semble prise dans un carcan de glace aux arêtes tranchantes. Si cette chose se laisse observer, elle prendra une netteté ahurissante ou, au contraire, comme la carpe surgissante du fond de l’eau ou de la vase, deviendra aussi floue qu’une luette enrouée ou une lunette embuée.
– Vous vous égarez encore…
– Pas plus qu’hier…
– C’est suffisant… mais continuez!
– Ses formes, arabesques nostalgiques d’un monde en dérive, tour à tour amères et doucereuses, échangeront l’un dans l’autre, la pureté cristalline avec les vapeurs faussement accueillantes de l’opium, par exemple ou de ses doctes dérives. Le cerveau, labyrinthique par nature, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est lui même objet de ses propres fantasmes...
– Vous délirez encore…
– Comment pourrais-je?… Le cerveau s’imagine comme un jardin qu’il regarde, dirige, plante, dessine, creuse, arrache, désherbe, replante, arrose, assèche, soigne, taille, bouture, récolte, redirige, croise, traite, sème et ressème, croyant observer la nature première et sa propre évolution.
– Et selon vous, nous serions dans cette chose?
– Plus que cela...
– Dites-moi!
– Nous sommes cette chose...

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