vendredi 6 octobre 2023

Ce qui vient à l’esprit

....Il me demanda si je n’avais pas trouvé très gracieux certains mouvements que faisaient les poupées, et notamment les plus petites.
....C’est une chose que je ne pus nier. Téniers n’aurait pu peindre de manière plus exquise un groupe de quatre paysans dansant la ronde à une vive cadence.
....Je m’enquis du mécanisme de ces figures et demandai comment il était possible de diriger leurs membres et leurs points, comme l’exigeait le rythme des mouvements ou de la danse, sans avoir aux doigts des myriades de fils.
....Il me répondit qu’il ne fallait pas s’imaginer qu’aux divers moments de la danse, chaque membre était posé et tiré séparément par le machiniste.
....Chaque mouvement avait son centre de gravité; il suffisait de le diriger, de l’intérieur de la figure; les membres, qui n’étaient que des pendules, suivaient d’eux-mêmes, sans autre intervention, de manière mécanique.
....Il ajouta que ce mouvement était fort simple; chaque fois que le centre de gravité se déplaçait en ligne droite, les membres décrivaient des courbes; et que souvent, après avoir été secoué de manière purement accidentelle, l’ensemble entrait dans une sorte de mouvement rythmique qui n’était pas sans ressembler à la danse.
....Cette remarque me sembla jeter quelque lumière sur le plaisir qu’il prétendait trouver au théâtre de marionnettes. Mais j’étais encore loin de pressentir les conséquences qu’il allait en tirer.
....Je lui demandai s’il pensait que le machiniste, qui dirigeait ces poupées, devait lui-même être danseur, ou au moins avoir une notion de la beauté de la danse.
....Il répondit que même si un métier était facile du point de vue mécanique, il ne fallait pas en conclure qu’il puisse être exercé sans la moindre sensibilité.


Heinrich von Kleist, Sur le théâtre de marionnettes, Éditions Mille et une nuit




– Rien n’est moins sûr…
– S’il y en avait nous les verrions ou du moins nous pourrions les sentir!
– C’est bien cela qui est étrange… et me et même donne à penser…
– Et que vous vient il à l’esprit?
– … Et si c’était cela? Pourquoi n’y avons-nous pas pensé…
– Quoi donc?
– Ce seraient des mots… des mots qui, comme des fils et des ficelles, nous feraient agir et nous conduiraient invisiblement à des actions opposées…
– Pourquoi opposées?
– Parce que contraires à notre nature…
– Quelle nature?
– Notre nature de perroquets! Que voulez-vous qu’elle puisse être? Celle qui, entre autre, nous pousse à imiter…
– Vous pourriez avoir raison… c’est en cela que nous ressemblons aux humains… avant le fait même de les imiter…
– Ce que vous venez d’énoncer me plaît beaucoup… je dois vous le dire…
– Pourquoi cela?
– Parce que je crois que l’homme aussi, avec certes d’autres moyens, est un imitateur et…
– Et?
– Et lui aussi… fait partie de la comédie…
– Serait-il faux, quand vous parlez de comédie, que de penser à ce que disait souvent… très souvent notre maître…
– À quoi faites-vous allusion?
– Il parlait souvent, très souvent… de la « divine comédie »…


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