lundi 16 octobre 2023

Désarroi

 
"Lorsque j’ai débuté mon activité, le devoir de représenter notre temps était l’impératif catégorique de tout jeune écrivain. Plein de bonne volonté, j’essayais de me couler dans l’énergie impitoyable qui anime l’histoire de notre siècle, dans ses vicissitudes collectives et individuelles. J’essayais de saisir une syntonie entre le spectacle mouvementé du monde, tantôt dramatique tantôt grotesque, et le rythme intérieur picaresque et aventureux qui me poussait à écrire. Je me suis vite aperçu qu’entre les faits de la vie qui auraient dû constituer ma matière première et l’agilité bondissante et tranchante dont je voulais qu’elle anime mon écriture, il y avait un écart que j’avais de plus en plus de peine à combler. Peut-être étais-je en train de découvrir tardivement la pesanteur, l’inertie, l’opacité du monde: propriétés qui s’accrochent aussitôt à l’écriture, si on ne trouve pas la manière de leur échapper. "
 
Italo Calvino
Leçons américaines, Six propositions pour le prochain millénaire, Gallimard




Cinq-cents-douzième rapport de Don Carotte
Extrait du petit cahier Vert


On sait, par le témoignage d'un voyageur avec qui mon grand-père s'était engagé dans une de ce conversations qui changent le cours des choses, que leurs idées si semblables avaient fini par provoquer un désarroi commun plus grand encore que celui de chacun d'eux. C'était pour tous deux, chacun de son côté, ce qui avait provoqué leur départ. Ils se l'étaient raconté l'un à l'autre sans que pour cela le récit de l'un s'ajouta au récit de l'autre. Non, un nouveau désarroi était né du récit des deux qui, tranchant radicalement avec son origine, ne leur ressemblait en rien.
L'homme demande:
– Quel est ton nom?
Selon le témoignage, mon grand-père ne répondit pas.

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