samedi 5 octobre 2024

 
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– Depuis quand cette roue est-elle là ?
– D'où vient-elle ?
– Où allait-elle ?
Aucun doute, me disais-je, elle vient du chariot... J'avais découvert une preuve de l'existence du Grand Chariot. Non sans peine, je ramenais la roue dans mon abri. Une première pièce du puzzle était posée contre le mur de ma cabane. Je l'avais reconstruite avec des restes du village à moitié calciné. Le plancher était posé sur quatre rochers chapeauté d'une pierre plate en surplomb. Une des traverse de mon plancher dépassait de la longueur d'une main. Je la travaillais à l'aide de mon couteau et ajustait la roue à son nouveau moyeu. Il me plaisait de la voir tourner sur elle-même. Je passais des heures devant elle à la faire tourner dans le soleil couchant. Elle sifflait agréablement. Mon esprit se vidait. J'étais heureux. Et puis un jour, le sifflement se transforma en chant. Le même chant que j'entendis lors du passage. J'avais alors une deuxième preuve de l'existence du Grand Chariot. Le reste ne pouvait plus que suivre. Il suffisait de suivre le chemin de l'eau. Ce que je fis. Peu de temps après avoir trouvé quelques morceaux de mats et timons ouvragés et ferrés qui semblaient provenir de l'attelage. Je trouvai une deuxième roue, parfaitement identique à la première. Je l'installais de l'autre côté de ma cabane, à l'autre extrémité de la traverse, du côté du levant où je m'installais à l’aube pour profiter de la lumière qui se lève. C'est alors que j'eus une révélation: J'avais sans l'avoir prémédité, reconstruit un chariot à l'image du grand chariot. Il suffirait que j'amarre le timon à la porte de ma cabane, que je trouve une roue de plus, pour l'équilibrage, que j'enlève les petites colonnes de pierres, pour que je puisse me déplacer avec ma maison, sans avoir besoin de revenir sans cesse en un lieu si chargé. Je pourrais suivre le chemin du Grand Chariot. C’est ce que je fis. Je trouvais de plus en plus de pièces dont je ne pouvais douter qu'elles proviennent de mon guide. Chacune d'entre elles s'adaptait sans effort à l'une ou l'autre des précédentes.
Un jour, je trouverais la malle...
D'abord, je fis une découverte morbide. J'avais aperçu une grande tâche rouge flottant au gré du courant. Pas de doute, c’était l’un des rideaux. Il était accroché, amarré à une grande pierre arrondie. Quand je le soulevais, je découvris une grande pierre blanche, recouverte par une mousse grisâtre. En réalité c’était un crâne. Je crus que c’était celui d’un cheval. La mousse était sa peau, qui, bien que décollée, était restée bien en place. Mais ses oreilles étaient bien trop longues...
C'est pour mieux t'entendre, me disait la petite voix invisible.
Ce n'est pas un cheval ! C'est l'âne du cavalier de l'Apocalypse. Le cavalier qui hante mes cauchemars.
Le Grand Chariot était tiré par des ânes !
J'étais sur le bon chemin. J'enveloppais la tête de l'âne dans le rideau rouge. Je fus soulagé de ne plus voir ses grandes orbites noires et vides qui m'attiraient comme le bord d'un gouffre attire le voyageur imprudent...


vendredi 4 octobre 2024


 
 
 

 
Carnet de l’Enfant Lune
Septième page
 
 
Rien n'est moins bien éclairé que ce qui produit la lumière... et c’est à ses abords immédiats qu'habite la nuit la plus dense.
Souvent j'entendais des voix. Je n'étais pas fou, je n'en étais pourtant pas au point de croire que les pierres de la montagne ou les herbes dansantes de la colline parleraient. L'eau, le vent et les arbres chantent, c'est entendu, mais les pierres... J'arpentais la montagne. En cercles de plus en plus larges tracés par la voix des choses et par la mémoire des pieds. Mes jambes et mon corps reprenaient force et vigueur. Chaque morceau de bois que je trouvais constituait une trace de mémoire. Je le retournais sept fois dans mes mains avant de le rejeter ou de l'emporter. Et puis un jour, je la vis dans le chemin de l'eau. Au pied d'une cascade imposante, fièrement dressée, face à la cascade, elle semblait lutter contre le courant pour remonter à la source: une roue de bois, cerclée de métal encore brillant coincée entre deux pierres.

Par avance

 
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– Serait-il possible que Pinocchio, l'Autre, aie perdu les fils qui le maintenait en vie... et qu'il soit devenu... à l'image de son créateur?
– Qui est cet homme?
– C'est celui qui le guide...
– Vous voulez dire son... créateur?
– Non... pour ce que j'en sais , lui-même serait une créature...
– Est-ce notre maître qui les a créés?
– Le fait qu nous puissions nous poser cette question est un signe...
– De quel signe parlez-vous?
– Tout ce que nous pouvons reconnaître participe au monde de notre créateur...
– Mais notre créateur est-il aussi une créature participant à notre monde
– Ce n'est point notre monde...
– Que dois-je entendre par là?
– Nous appartenons à ce monde, mais ce monde n'est point à nous... au sens où vous l'entendez.
– C'est que justement je n'entend pas grand-chose à cette histoire...
– C'est parfaitement normal... d'histoire, en tous cas celle que vous attendez, il n'y a point.
– Quelle pourrait-être l'histoire que je n'attendrai point?
- L'histoire, il faut le savoir et s'en souvenir s'écrit après coup...
– Vous voulez aussi parler de notre histoire?
– Je vous l'ai dit cette histoire n'est point à nous... ce n'est point notre histoire...
– Mais nous appartenons à l'histoire qui se déroule?
– C'est cela...
– Mais alors, si l'histoire se déroule... c'est qu'elle était là... avant... enroulée je ne sais où! Et en ce cas, elle serait écrite.., par avance…







jeudi 3 octobre 2024


 

 

 
– Faut-il que je croie à ce que j'ai vu... de mes yeux vu?
– Que voyez-vous?
– Si j'en crois mes yeux... Pinocchio l'Autre n'est plus dépendant de fils qui le rendaient prisonnier... il serait devenu un homme...
– Ce ne sont point vos yeux qui disent cela! Ce que vous venez de dire n'est qu'une interprétation de ce que vous choisissez de voir qui est indépendant des sensations que vous procurent vos yeux...



mercredi 2 octobre 2024

L’une sans l’autre

 
 


«Une des images les plus fréquentes à propos de la “vie” que le marionnettiste donne à la marionnette est celle de “l'animation”, avec toutes les connotations métaphysiques et spirituelles associées à cette idée: anima renvoie à la présence de la vie, du souffle vital passant dans le corps inerte de la marionnette, de l'impression d'une “âme” qui habiterait alors le corps artificiel des marionnettes, phénomène qui serait à la source du plaisir que nous prenons à les voir et de la “magie” qui se dégage de cet art. Il y a, rappelle Philippe Choulet en ouverture de son article, un “animisme commun” chez les marionnettistes et les spectateurs que revendiquent certains comme ce qui fait la magie de leur pratique, qu'utilisent d'autres pour doter la marionnette d'une forme de spiritualité et que d'autres encore démystifient en rappelant qu'il ne s'agit là que d'une “illusion de l'animation” (P. Choulet) que le regard philosophique pourrait nous aider à comprendre et à déconstruire.»


 


– Sait-il seulement que le feu le consume?
– Il est stupéfait… mais ne sait rien. Le saurait il que cela ne changerait rien…
– Il ne connaît rien de l’inertie de la matière… Il ne connaît rien de la force qui le maintient dans les airs et combien elle est supérieure à celle qui le retient au sol… et…
– Et?
– L’une sans l’autre n’existerait point… Au fur et mesure que tout se passe, il apprend…
– Que se passe-t’il !
– L’une, non sans l’autre, passe… Ils passent… Tout passe… et dans l’invisible passant, en plein jour comme en pleine nuit, arpente du cou jusqu’au pied, le sol au corps si mou. Un seul geste et le rouge dans l’eau d’un coup se déroule, du cœur jusqu’aux pieds. Alors, par fragments successifs aux souffles rauques, s’enracine et reste sans voix ce qui en terre ne pouvant se taire, se met à brûler…

 
 
L’esprit qui n’existe point ne saurait se tromper…
 
 

 
  
Carnet de l’Enfant Lune
Sixième page
 
 
En ce temps-là, une troisième sorte d'images m'apparaissaient régulièrement, le jour ou la nuit, comme des cauchemars dont les scintillements me rendaient prisonnier. Ces images étaient d'une grande violence. Mais elles aussi, tout comme chaque chose, contenaient une part de vérité. Impossible de les manipuler. Soit elles ne changeaient jamais, que ce soit au-dehors, dans le chemin de l'eau ou dans le monde de ma nuit, soit elles se transformaient littéralement à vue d’œil... Pourquoi ne pouvais-je pas avoir confiance en ces images.

Patiemment, je me mis à la recherche de ce que je connaissais. Le chariot était passé. J'en avais la certitude. J'avais très nettement vu la malle tomber dans la rivière. Je me mis à sa recherche. Sans rien voir autour de moi, comme un fou pourtant, je cherchais à en perdre la vue. Le soleil, ou était-ce les projecteurs, était très puissant ce jour-là. Les eaux tourbillonnantes, certainement par erreur, s'étaient faites ses alliées, mais cela n'explique pas tout. C'est de trop de lumière que j'étais devenu aveugle.



mardi 1 octobre 2024

Superposition

 
 
 
– Jamais je ne m'étais imaginé que cet être qui me semblait si étrange me ressemblait si profondément. Peu à peu j'eus l'impression que ce je lisais je l'avais écrit moi-même... Les paroles que j'avais sous les yeux représentaient plus que tout ce que j'avais pu dire au cours de toutes ces années... Ma confusion me rendait aveugle... J'étais incapable de comprendre qui étaient Pinocchio l'Autre, le Dr. Shuffle, l'enfant Lune, Don Carotte et d'autres encore...
Une deuxième chanson, comme un murmure dansant au rythme de la samba au-dessus du chaos...

"Je vais vous raconter
une histoire oubliée
Je ne sais pas pourquoi
je ne l’oublierais pas..."

se superposait à la première qui continuait, lancinante:

"...Un sauvage dilemme
Plonge au fond de ses os
Au fond des océans
Je marcherais sans voix
J’avancerais sans voir"...

Et puis, par-dessus tout, la voix, de plus en plus lointaine:

"...Voyez-vous là-bas cette dame au sourire béat, dont le visage ferait croire qu'il neige entre ses cuisses, qui minaude la vertu, et baisse la tête rien qu'à entendre parler de plaisir ?.."*
 
Je ne la vois mais je l'entends...

L'homme s'efforce de voir et d'entendre,
fasciné, il accourt pour toucher de ses mains
ce qui s'éloigne aussitôt
vers ce qu'il croit être irréel
Lidane Liwl
Édition "Le temps s'amuse"
*Le roi Lear

 


Le Dr. Logical découvre que le Dr. Shuffle le connaît mieux qu'il ne pouvait le croire.
Thomas baisse la tête. L'oiseau s'en est allé. Il lit.
- Il m'est arrivé de douter que l'objet de nos recherches existât vraiment. Je me sentais bien seul, incapable de discerner le parcours qui nous mènerait vers lui. Ce que je percevais de la réalité du monde m'angoissait. C'est alors que je fis la connaissance de Fides. C'était un chien étrange. Bien sûr il était moins grand que ne le voyaient mes yeux assoiffés de présence. Bien sûr il ne parlait pas. Bien sûr aucune étoile ne brillait dans son regard... Je ne suis plus si fou... Les yeux de Fides sont des miroirs dans lesquels j'apprends à me voir tel que je lui apparais: inconforme à l'image que je me faisais.


« Nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. À présent, je connais d'une manière partielle; mais alors je connaîtrai comme je suis connu » *.


"... Je ne suis plus un fou
J’avais besoin de tout
D’une histoire qui bafoue
Les plus secrets remous..."

Et puis la voix portée par le vent... :


"...Ma mère avait une servante, appelée Barbarie, qui était amoureuse; celui qu'elle aimait devint capricieux et l'abandonna. Elle savait une vieille chanson, la chanson du Saule qui exprimait bien la situation. Elle mourut en la chantant..."**

Thomas ne peut croire à ce qu'il voit
Il observe que derrière les mots se cachent des sens différents
Il doute encore...
Lidane Liwl
Édition "Le temps n'a que faire de vérités"
*(1 Co 13, 12)
**Desdémona, dans Othello