« Il n’y a pas un peuple de fous. Chaque fou forme à lui seul son propre peuple.»
Albert Londres, Chez les fous, Payot
"Cher Joachim,
Même si je connais votre intelligence et les capacité extraordinaires que vous avez de l'utiliser, je pense que je vais vous surprendre quelque peu. J'ai recommencé à voyager ce qui fut la cause de mon silence ces derniers jours. Cette fois je ne suis pas rentré de la nuit et c'est à peine lever du jour que je fis, discrètement mon apparition à l'Aubade du Petit Jour. La surprise que je soumets à votre perspicacité est que ma disparition est passée complètement inaperçue. Cependant ce n'est pas avec ce fait que je pensais vous surprendre mais avec ce que je vais vous conter avec mes faibles talents. Je vous l'ai dit, j'ai marché beaucoup plus loin et je me suis approché de ce Couchant où l'homme et son chien sont sont supposés être en train de perturber les travaux de consolidation provisoire. Je voyais au loin les célèbres colonnes que je ne connaissais que par ouï dire au commencement de ma longue carrière. Il est vrai que je ressentis alors une sorte d'émotion simple mais sincère et que tout ce fatras avait fini par sombrer dans l'oubli. Pour tout vous dire, j'étais trop jeune et si j'étais troublé il faut convenir que ces excès d'humilité et de modestie y jetaient de l'embarras qui fit que le ton employé pour ma formation n'avait pas été assez ferme pour qu'il fit sur moi une impression durable. Quand je vis ces colonnes bien présentes devant moi, ce passé oublié se mit à me parler avec une force que je n'imaginais pas possible. Une de ces colonnes captait toute mon attention à tel point que les autres disparurent littéralement de mon champ de vision. Sur cette colonne était juché un vieil homme tenant en sa main droite un caillou qu'il s'apprêtait à lancer dans le vide qu'il ne pouvait regarder à cause de ses orbites vides. J'avais et j'ai toujours la certitude que ce vieil homme était aveugle. Au début j'imaginais qu'il s'agissait d'Homère. Sa main gauche, en signe d'impuissance et de pure vanité s'ouvrait au vide et au néant qui l'entourait. Ce geste ambigu m'intriguait d'autant plus que rapidement j'eus la nette sensation que l'homme debout sur cette colonne n'était autre que moi-même. Il manifestait clairement le dilemme qui agite le peu de conscience qui me reste.
Vous savez ce que l'on nous a enseigné: "Ce que vous voyez maintenant de vos propres yeux, et qui n'est que trop réel, est plus incroyable qu'un songe" *. Je ne savais plus que penser. Je regardais avec une curiosité redoublée. Que représentait ce livre ouvert derrière lui? Pourquoi son pied droit était levé au dessus d'une bête que j'identifiais d'abord comme un chien couché à ses pieds jusqu'à ce que je rectifie ma pensée en découvrant que c'était un agneau qui reposait là, sous son pied.
C'est à ce point de mes réflexions que le crépuscule me surprit et que je décidais de rentrer. En peu de jours j'avais acquis une expérience telle que j'effectuais en quelques minutes ce qui m'avait pris de longues heures les jours d'avant et c'est ainsi que je rejoignis ma demeure et que j'eus encore le temps de remettre ma moumoute et enlever ma fausse barbe pour rejoindre l'Aubade du Petit Jour ou je chantais avec un bonheur sans égal.
"Tout change avec le jour, et les choses paraissent alors ce qu'elles sont." *
Comme j’aurais aimé y croire…
Votre Isidore, qui a encore tant de choses à vous confier mais dont le temps est compté."
*Saint Jean Ch rysostome
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