“ Comment l’homme moderne, dont le monde est menacé par le chaos, peut-il faire autre chose que donner forme au chaos? C’est lorsque le chaos est circonscrit que ce qui gît derrière lui peut émerger, et la graine du chaos est peut-être plus précieuse que tout autre fruit.»
Erich Neumann“« Rencontres et partis pris », p. 129
Erich Neumann“« Rencontres et partis pris », p. 129
Le volcan, vu de loin, ne faisait qu'émerger. Ce n’était pas encore une colère, pas encore l’irruption d’une puissance souterraine décidée à fendre le monde, mais déjà, il semblait exhaler sa respiration brûlante, comme un géant reclus qui, sous ses paupières de basalte, ouvre lentement les yeux. L’air était lourd d’un pressentiment ancien, une attente suspendue dans les cendres qui tombaient en flocons sombres sur la roche durcie.
Lucien avançait avec précaution, posant ses bottes sur cette terre criblée de failles où la chaleur affleurait sous la croûte du monde. Outre le fait qu’il se soit engagé à compléter la rédaction du rapport, il était aussi venu pour comprendre, pour écrire, pour transcrire ce qui, au premier regard, semblait insaisissable: la naissance d’une île, l’érection d’une matière nouvelle au sein du grand chaos des éléments, sans compter la possible rencontre avec des personnages bien étranges dont, au fond de lui, il doutait de leur existence. Pourtant, il se tenait là, non plus en savant mais en intrus, et il le savait.
Et c’est alors seulement qu’il le vit.
Un chien. Un simple chien qui le suivait depuis qu’il avait posé une pied sur l’archipel.
Il aurait dû s’étonner, s’interroger sur la présence d’un tel animal en ces contrées brûlantes et désertées, où nulle empreinte de vie ne subsistait en dehors des fougères carbonisées et des insectes fous cherchant à fuir l’inévitable. Mais non, Lucien fut avant tout ravi. Ravissement enfantin, presque absurde, face à ce petit miracle d’innocence en pleine désolation.
Le chien était d’un bleu céruléen, un bleu éclatant sous les reflets rougeoyants du ciel fendu par la fumée volcanique. Ses pattes fines semblaient à peine effleurer le sol, comme s’il ne lui appartenait pas tout à fait. Et ses yeux… Ils étaient d’une intelligence aiguë, non pas celle d’un animal, mais d’un être qui attend.
Lucien s’arrêta, et dans cette immobilité soudaine, quelque chose bascula.
Le chien leva la tête vers lui, et une voix se fit entendre. Non pas un aboiement, non pas le cri d’une bête, mais une parole. Une voix qui ne venait ni du ciel ni de la terre, mais qui résonnait avec une limpidité presque insoutenable.
— Dites-moi, professeur, maintenant que nous avons le plaisir de nous être rencontrés, au-delà du fait que vous vous trompez à mon sujet et au-delà de votre rapport dont nous ne connaissons que l’ébauche, pourriez-vous me dire le pourquoi profond de votre venue ?
Lucien sentit son corps se contracter, une crispation infime mais réelle. Il n’était pas un homme à se laisser troubler facilement. Des années de recherche, de lectures et de terrains hostiles avaient aiguisé en lui une patience froide face aux anomalies du monde. Mais ceci… Ceci n’était pas une anomalie. C’était un gouffre.
Lucien avançait avec précaution, posant ses bottes sur cette terre criblée de failles où la chaleur affleurait sous la croûte du monde. Outre le fait qu’il se soit engagé à compléter la rédaction du rapport, il était aussi venu pour comprendre, pour écrire, pour transcrire ce qui, au premier regard, semblait insaisissable: la naissance d’une île, l’érection d’une matière nouvelle au sein du grand chaos des éléments, sans compter la possible rencontre avec des personnages bien étranges dont, au fond de lui, il doutait de leur existence. Pourtant, il se tenait là, non plus en savant mais en intrus, et il le savait.
Et c’est alors seulement qu’il le vit.
Un chien. Un simple chien qui le suivait depuis qu’il avait posé une pied sur l’archipel.
Il aurait dû s’étonner, s’interroger sur la présence d’un tel animal en ces contrées brûlantes et désertées, où nulle empreinte de vie ne subsistait en dehors des fougères carbonisées et des insectes fous cherchant à fuir l’inévitable. Mais non, Lucien fut avant tout ravi. Ravissement enfantin, presque absurde, face à ce petit miracle d’innocence en pleine désolation.
Le chien était d’un bleu céruléen, un bleu éclatant sous les reflets rougeoyants du ciel fendu par la fumée volcanique. Ses pattes fines semblaient à peine effleurer le sol, comme s’il ne lui appartenait pas tout à fait. Et ses yeux… Ils étaient d’une intelligence aiguë, non pas celle d’un animal, mais d’un être qui attend.
Lucien s’arrêta, et dans cette immobilité soudaine, quelque chose bascula.
Le chien leva la tête vers lui, et une voix se fit entendre. Non pas un aboiement, non pas le cri d’une bête, mais une parole. Une voix qui ne venait ni du ciel ni de la terre, mais qui résonnait avec une limpidité presque insoutenable.
— Dites-moi, professeur, maintenant que nous avons le plaisir de nous être rencontrés, au-delà du fait que vous vous trompez à mon sujet et au-delà de votre rapport dont nous ne connaissons que l’ébauche, pourriez-vous me dire le pourquoi profond de votre venue ?
Lucien sentit son corps se contracter, une crispation infime mais réelle. Il n’était pas un homme à se laisser troubler facilement. Des années de recherche, de lectures et de terrains hostiles avaient aiguisé en lui une patience froide face aux anomalies du monde. Mais ceci… Ceci n’était pas une anomalie. C’était un gouffre.
La raison hésite, face au surgissement de l’étrange. Elle cherche d’abord une explication simple, un artifice du vent, un tour de la fatigue, un écho déformé. Mais l’illusion s’effondre lorsque l’étrange persiste, lorsque son évidence devient insupportable.
Lucien chercha, un instant, à s’ancrer dans la rationalité : peut-être avait-il mal entendu ? Peut-être cette parole était-elle un murmure surgissant du volcan lui-même, une hallucination sonore née des vapeurs et du stress ?
Mais non.
Le chien — ou ce qu’il croyait être un chien — continuait de le fixer, avec cette patience insoutenable qui appartenait aux choses qui ne doutent jamais.
Il pouvait fuir. Il pouvait détourner les yeux et continuer son chemin, s’accrocher à son rôle d’homme de science et balayer d’un revers de pensée ce qui venait de se produire. Mais il ne le fit pas.
Il fit ce que font ceux qui se savent déjà piégés: il répondit.
– Quelle pourrait être cette erreur dont vous faites état? demanda-t-il, avec une prudence qui trahissait son désarroi.
Le chien ne cligna même pas des yeux.
– Premièrement, professeur, je ne suis pas le petit chien bleu dont vous parlez dans votre rapport... et mon nom n’est pas Damon.
Lucien chercha, un instant, à s’ancrer dans la rationalité : peut-être avait-il mal entendu ? Peut-être cette parole était-elle un murmure surgissant du volcan lui-même, une hallucination sonore née des vapeurs et du stress ?
Mais non.
Le chien — ou ce qu’il croyait être un chien — continuait de le fixer, avec cette patience insoutenable qui appartenait aux choses qui ne doutent jamais.
Il pouvait fuir. Il pouvait détourner les yeux et continuer son chemin, s’accrocher à son rôle d’homme de science et balayer d’un revers de pensée ce qui venait de se produire. Mais il ne le fit pas.
Il fit ce que font ceux qui se savent déjà piégés: il répondit.
– Quelle pourrait être cette erreur dont vous faites état? demanda-t-il, avec une prudence qui trahissait son désarroi.
Le chien ne cligna même pas des yeux.
– Premièrement, professeur, je ne suis pas le petit chien bleu dont vous parlez dans votre rapport... et mon nom n’est pas Damon.