« Le monde, ce tas de fumier de forces instinctives, qui brille malgré tout au soleil en tons pailletés d'or et de clair-obscur.
Pour moi, si je considère pestes, tempêtes et batailles, j'y vois le produit de la même force aveugle qui s’exerce tantôt grâce à des microbes inconscients, tantôt par le jeu des coups de foudre et de trombes d'eau, eux aussi inconscients, tantôt par le canal d'hommes tout aussi inconscients. Entre un tremblement de terre et un massacre, je ne vois pas d'autre différence que dans un assassinat perpétré avec un couteau ou avec un poignard. Le monstre immanent aux choses utilise tout autant –pour son plus grand bien ou son plus grand malheur, qui, d'ailleurs, semblent lui être indifférents– le mouvement d'un rocher dans les hauteurs que celui de la jalousie ou de la convoitise dans un cœur humain. Le rocher tombe, et vous tue un homme; la jalousie ou la convoitise arment un bras, et le bras tue un homme. Ainsi va le monde, tas de fumier de forces instinctives, qui brille malgré tout au soleil en tons pailletés d'or et de clair-obscur.»
Pour moi, si je considère pestes, tempêtes et batailles, j'y vois le produit de la même force aveugle qui s’exerce tantôt grâce à des microbes inconscients, tantôt par le jeu des coups de foudre et de trombes d'eau, eux aussi inconscients, tantôt par le canal d'hommes tout aussi inconscients. Entre un tremblement de terre et un massacre, je ne vois pas d'autre différence que dans un assassinat perpétré avec un couteau ou avec un poignard. Le monstre immanent aux choses utilise tout autant –pour son plus grand bien ou son plus grand malheur, qui, d'ailleurs, semblent lui être indifférents– le mouvement d'un rocher dans les hauteurs que celui de la jalousie ou de la convoitise dans un cœur humain. Le rocher tombe, et vous tue un homme; la jalousie ou la convoitise arment un bras, et le bras tue un homme. Ainsi va le monde, tas de fumier de forces instinctives, qui brille malgré tout au soleil en tons pailletés d'or et de clair-obscur.»
Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité
Walid, haussant un sourcil.
Monsieur, votre rapport est fort bien ordonné,
Monsieur, votre rapport est fort bien ordonné,
Savamment rédigé, doctement épongé,
Mais il souffre pourtant d’un oubli de taille,
Que je viens sans tarder corriger sans faille.
Lucien, croisant les bras.
Ah ! Me voici coupable d’une affreuse bévue?
Ah ! Me voici coupable d’une affreuse bévue?
Voyons donc, éclairez-moi de votre plume ingénue.
Walid, avec emphase.
Asinus n’est point un âne comme les autres,
Asinus n’est point un âne comme les autres,
Ni bête de somme, ni créature des nôtres.
Il n’est pas de chair, ni tout à fait de bois,
Ni même mécanique aux rouages aux abois.
Lucien, faussement intrigué.
Ventrebleu ! Qu’est-il donc, ce prodige foutraque?
Ventrebleu ! Qu’est-il donc, ce prodige foutraque?
Un esprit déguisé sous un mufle fantasque?
Walid, pointant son carnet.
Il est citaphore, un mot que nul ne connaît,
Il est citaphore, un mot que nul ne connaît,
Mais qui pourtant le peint en parfait reflet.
Ce n’est point d’avoine qu’il emplit son ventre,
Mais de citations qu’il prend soin d’étendre.
Il mâche des pensées, rumine des vers,
Sans rien inventer, toujours à l’envers.
Lucien, ironique.
Voilà qui me semble un doux radotage!
Voilà qui me semble un doux radotage!
Un âne qui cite Mais quel bavardage!
J’ai longuement observé cette bête errante,
Et point ne l’ai vue philosophe ambulante.
Walid, levant un index.
Et pourtant, docteur, ouvrez grand vos oreilles :
Et pourtant, docteur, ouvrez grand vos oreilles :
Il ressasse des mots comme un moine en veille !
Fragments d’écrits, paroles anciennes,
Distillées au vent, légères et hautaines.
Mais de cela, dans votre savant ouvrage,
Nulle trace, hélas ! Un cruel naufrage!
Lucien, piqué au vif.
Comment savez-vous cela? En quoi donc prétendez
Que j’aurais omis, par quelque vanité,
Un fait aussi grand que ce que vous dépeignez?
Auriez-vous des preuves, quelque preuve avérée?
Walid, brandissant sun carnet.
J’ai, dans ce bagage, des sources innombrables,
J’ai, dans ce bagage, des sources innombrables,
Qui, croyez-moi bien, sont fort peu agréables
À ce que vous dîtes dans votre fier rapport.
L’erreur est humaine, mais la vôtre est de votre ressort!
Lucien, haussant les épaules.
Que n’avez-vous dit plus tôt ce bel argument?
Voyons donc ces pages, lues si doctement.
Si votre âne érudit cite sans nul détour,
Qu’il me convainque donc d’un proverbe en retour!
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