dimanche 9 mars 2025

« La division de la vie en vie végétale et vie de relation, organique et animale, animale et humaine, passe alors avant tout à l'intérieur de l'homme vivant comme une frontière mobile et, sans cette césure intime, le simple fait de décider de ce qui est humain et de ce qui ne l'est pas serait probablement impossible. C'est seulement parce que quelque chose comme une vie animale a été séparé à l'intérieur de l'homme, parce que la distance et la proximité avec l'animal ont été mesurées et reconnues avant tout dans le plus intime et le plus proche qu'il est possible d'opposer l'homme aux autres vivants et en même temps d'organiser la complexe, et pas toujours édifiante, économie des relations entre les hommes et les animaux.
Mais s'il en est ainsi, et si la césure entre l'homme et l'animal passe d'abord à l'intérieur de l'homme, c'est alors la question même de l'homme, et de l'«humanisme», qui doit être posée d'une manière nouvelle. Dans notre culture, l'homme a toujours été pensé comme l'articulation et la conjonction d'un corps et d'une âme, d'un vivant et d'un logos, d'un élément naturel (ou animal) et d'un élément surnaturel, social ou divin. Nous devons, au contraire, apprendre à penser l'homme comme ce qui résulte de la déconnexion de ces deux éléments et examiner non le mystère métaphysique de la conjonction, mais le mystère pratique et politique de la séparation. Car qu'est-ce que l'homme, s'il est toujours le lieu, et aussi bien le résultat, de divisions et de césures incessantes? Travailler sur ces divisions, se demander en quelle manière, chez l'homme, l'homme a été séparé du non-homme et l'animal de l'humain, est plus urgent que prendre position sur les grandes questions sur  les prétendus valeurs et droits humains. Et peut-être la sphère plus lumineuse des relations avec le divin dépend-elle aussi, en quelque manière, de la sphère, plus obscure, qui nous sépare de l'animal.

Giorgio Agamben, L’ouvert, De l’homme et de l’animal, Rivages poché, p. 32-33-34



Damon
– Avez-vous conscience de n’être point un humain?

Le Pantin
– Que voulez-vous dire par là? Serait-ce une allusion au fait que je ne serai qu’un pantin? Il y aurait là une sorte de mépris qui m'étonne de vous...

Damon
– Ce n’est point une allusion… c’est une simple constatation, mais, ce n’est point ce constat qui importe, mais ce à quoi il pourrait mener.

Le Pantin 
– Et où donc ce constat devrait nous mener?

Damon
– Je ne le sais pas encore… Mais avez-vous déjà pensé à ce que veut dire être un pantin?

Le Pantin 
– Je sais que j’ai été créé à l’image du Colonel…

Damon
– Cela vous le savez… et nous le savons… mais le pourquoi de cette ressemblance?

Le Pantin 
– Je n’y ai jamais pensé, mais maintenant que vous soulevez la question… celle-ci m’envahit de toute son incertitude… En sauriez vous plus que moi?

Damon
– Procédons par ordre. Vous connaissez votre créateur …

Le Pantin 
– Je connais le Souriant, celui qui m’a créé à l’image du Colonel!

Damon
– Dans quel but vous a-t-il créé à l’image du Colonel?

Le Pantin 
– Je n’en ai aucune certitude, mais il me semble l’avoir entendu penser tout haut pendant qu’il œuvrait sur moi-même.



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