jeudi 6 mars 2025

“Qui se soulève exclame, devant le monde, qu'il est grand temps. Alors désirer déborde, désobéir advient. Tout recommence. C'est comme si le temps lui-même manifestait, s'insurgeait. Comme si, en se soulevant, on délivrait le temps lui-même de ses chaînes. Comme si on démultipliait le temps en temps pluriels, en temps possibles, ce qui implique fatalement de dresser certains temps (qui pourraient ouvrir un champ à de la liberté) contre d'autres (qui ne font que refermer l'espace sur de la soumission). Ce qui nous soulève ne serait-il pas le fait d'une vague de multiples temps autres, de «grands temps», ou de « gros temps» comme on le dit de la tempête? Le geste du soulèvement ne reviendrait-il pas, d'emblée, à lancer à travers tout l'espace des gestes de temps - gestes de temps hétérogènes ou hérétiques susceptibles d'interrompre le cours normal des choses, de faire advenir des situations jusqu'alors impensables? Capables, en somme, de faire que tout recommence?
Recommencement désiré, souvent, au fil d'une patience faite de perdurantes passions, de très longues impatiences.
Et c'est aussi un recommencement qui s'imagine: délivrant ses images, ses feux d'images, pour que le «grand temps» prenne forme à travers le mouvement même de nos désirs.»

Georges Didi-Huberman, Imaginer recommencer, Les éditions de minuit, p.11
 
 


 

 
 


 

Pantin
– N’oubliez pas que nous vivons dans un cirque… dans l’impermanence...

Damon
– Voulez-vous dire que cet Archipel, ces îles qui apparaissent et disparaissent, tout cela n'existe pas... ou n’est qu’un spectacle?

Pantin
 – Un spectacle, ou bien autre chose... un soulèvement, peut-être, telles ces vagues permanentes qui accompagnent la proue du navire. Un tumulte de formes qui, comme des volcans s’élèvent et retombent, une perpétuelle insurrection du possible contre l’inerte.
 
Damon
 – Pourtant, ces hommes sur les bateaux, ces silhouettes à l’horizon, ils viennent nous voir.
 
Pantin
 – Ils viennent, oui, mais de loin et la plupart ne font que passer. Quant à notre existence, ils ont des doutes. Une seule visite, un seul regard, et déjà ils s’en vont. Ils nous effleurent du regard comme on effleure un rêve sans complètement s’y abandonner. Ils ne voient que l’apparence d’un jeu, un décor mouvant, alors que nous, ne souriez point, nous soulevons le temps lui-même.
 
Damon
 – Savez-vous s'il en est qui reviennent?
 
Pantin
 – Certains, oui. Ils vont et viennent, hésitent à plonger dans ce que nous sommes. Ils cherchent sans comprendre que ce n’est pas une réponse qu’ils poursuivent, mais un autre temps.
 
Damon
 – Un autre temps?
 
Pantin
 – Celui qui s’ouvre quand tout vacille. Un «grand temps», un «gros temps», comme on le dit de la tempête. Un temps qui ne coule plus docilement, mais qui se cabre, qui défie.
 
Damon
 – Et il y a ceux qui restent…
 
Pantin
 – Oui, un petit nombre, infime. Ceux-là reviennent chaque jour, fascinés ou troublés, incapables de s’éloigner trop longtemps. Ils sentent que quelque chose palpite ici, quelque chose qui défie l’ordre établi.
 

 
 
 

 
 
 

 
 

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