mardi 20 janvier 2015

Le meilleur de l’art d’écrire


La Poésie n’était au premier âge
qu’une théologie allégorique,
pour faire entrer au cerveau des hommes grossiers
par fables plaisantes et colorées
les secrets qu’ils ne pouvaient comprendre.

Pierre de Ronsard

 –  Y-en-a qui savent écrire,
nous, on ne sait que parler...
et encore, je devrais dire répéter...

"Le meilleur de l’art d’écrire, ce n’est pas le mal réel qu’on se donne pour accoler le mot au mot, pour entasser, brique sur brique; ce sont les préliminaires, le travail à la bêche que l’on fait en silence en toutes circonstances, que ce soit dans le rêve ou à l’état de veille. Bref, la période de gestation. Personne n’a jamais réussi à jeter sur le papier ce qu’il avait primitivement l’intention de dire : la création originale, qui est continue, que l’on écrive ou non, participe du flux élémentaire : elle s’inscrit hors de toutes dimensions, de toutes formes, de toutes durées. Dans cet état préliminaire, qui est création et non naissance, les éléments qui sont appelés à disparaître ne sont pas détruits pour autant ; un principe qui se trouvait déjà être présent, marqué du sceau de l’impérissable, par exemple la mémoire, la matière, Dieu, surgit à l’appel et l’être s'y précipite comme le fétu de paille dans le torrent. Mots, phrases, idées, si subtils et ingénieux soient-ils, coups d’ailes les plus forcenés de la poésie, rêves les plus profonds, visions les plus hallucinantes, ne sont que des hiéroglyphes grossiers gravés par la douleur et la souffrance en commémoration d’un événement qui demeure intransmissible. Dans un monde suffisamment ordonné, il serait inutile de faire l’effort déraisonnable de notre de tels hasards miraculeux. Cela n’aurait à vrai dire aucun sens. Si l’humanité prenait le temps de se rendre compte des choses, qui saurait se contenter d’une contrefaçon, quand il n’est que de tendre la main pour saisir le réel ? Qui aurait envie de tourner le bouton de la radio pour écouter Beethoven, par exemple, quand il lui suffirait de se tourner vers lui-même pour vivre les extases harmoniques que Beethoven a désespérément tenté d’enregistrer ? Toute grande œuvre d’art, si elle atteint la perfection, sert à nous rappeler, mieux : à nous faire rêver l’intangible éphémère – c’est à dire l’univers. Elle ne jaillit pas de l’entendement – on l’y admet ou on l’en rejette. Admise, elle instille une vie nouvelle. Rejetée, nous en sommes diminués d’autant. Quel que soit son objet, elle ne l’atteint jamais : elle contient toujours un plus dont le dernier mot ne sera jamais dit. Et ce plus, c’est ce que nous lui ajoutons dans notre appétit terrible de ce dont chaque jour qui s’écoule est la négation. Si nous nous admettions nous même aussi complètement que nous admettons l’œuvre d’art, l’univers entier de l’art périrait de carence alimentaire. Il n’est pas de jour ou n’importe quel pauvre type ne voyage immobile, à tout le moins durant les quelques heures où son corps repose, les yeux clos. Un jour viendra où il sera au pouvoir de quiconque de rêver éveillé. Mais bien avant ce jour, les livres auront cessé d’exister, car lorsque la plupart des hommes connaîtront l’art d’être parfaitement éveillé et de rêver, leur pouvoir de communier (entre eux comme avec l’esprit qui meut l’humanité) se trouvera si renforcé que l’art d’écrire n’aura alors pas plus de sens que les grognements inarticulés et rauques d’un idiot."

Henri Miller Sexus 


 "C'est lorsqu'on se trouve au milieu de gens grossiers
que l'on apprend à faire cas des gens trop délicats
et qui ont des manières recherchées. "
Johann Paul Friedrich Richter dit Jean-Paul








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