mercredi 14 février 2018

Ce matin là





– Ce matin une idée a germé dans mon cerveau.
– Je vous écoute.
– J'ai imaginé de me fabriquer, de mes propres mains, un beau pantin de bois; mais un pantin merveilleux, qui saurait danser, manier l'épée et faire le saut périlleux. Je ferai le tour du monde avec ce pantin, pour gagner mon quignon de pain et mon verre de vin; qu'en pensez-vous?
– Bravo, Polenta! cria la petite voix, toujours la même petite voix, dont on ne comprenait pas d'où elle pouvait sortir. En s'entendant appeler Polenta, compère Geppetto devint, de colère, rouge comme une tomate, et se tournant vers le menuisier, il lui dit, fou furieux :
– Pourquoi m'insultez-vous?
– Vous insulter?
– Vous m'avez appelé Polenta !...
– Ce n'est pas moi.
– Mais moi-même, sans doute? Et moi, je dis que c'est vous!
– Non!
– Si!
– Non!
– Si!
Et, s'échauffant toujours davantage, ils passèrent des paroles aux actes, s'empoignèrent, s'égratignèrent, se mordirent en se rouant de coups. Le combat terminé, Maître Antoine se retrouva avec la perruque jaune de Geppetto entre les mains, et Geppetto s'aperçut qu'il tenait dans sa bouche la perruque grisonnante du menuisier.
– Rends-moi ma perruque ! cria Maître Antoine.
– Et toi, rends-moi la mienne, et refaisons la paix.
Les deux petits vieux reprirent chacun leur perruque, se serrèrent la main et jurèrent de rester bons amis toute leur vie.
– Que puis-je faire pour vous, compère Geppetto? dit le menuisier, en signe de réconciliation.

– Je voudrais un peu de bois pour fabriquer mon pantin ; vous me le donnez ? Maître Antoine, tout content, alla tout de suite prendre sur le banc ce morceau de bois qui lui avait causé tant de frayeurs. Mais au moment où il allait le remettre à son vieil ami, le morceau de bois donna une forte secousse, et, lui glissant brutalement des mains, il alla frapper avec violence les tibias du pauvre Geppetto.
– Ah ! c'est de cette façon charmante, Maître Antoine, que vous faites vos cadeaux? Vous m'avez quasiment estropié!
– Je vous jure que ce n'est pas moi!

– C'est moi-même, sans doute!...
– Tout vient de ce bois...
– Certes, de ce bois; j'en sais quelque chose: mais c'est vous qui me l'avez lancé dans les jambes!
– Je ne vous l'ai pas lancé! 


Ce matin là, l'enfant, à son réveil se souvient. Ce dont il se souvient est là dans sa tête, mais il n'arrive pas à situer les lieux dans lesquels cette mémoire est installée... Ce qui se passe est une réalité qu'il ne peut prendre en mains.

– Ce ne sont que des images, entend-il dire.

C'est alors qu'il voit cet autre lui-même qui lui ressemble à quelques petits détails près... sans se poser de questions, immédiatement il lui adresse la parole.


– Imaginez un instant: Gepetto et Maître Antoine ont été, eux aussi, des enfants. C'est chose certaine. Imaginez qu'ils ont été en présence l'un de l'autre! Quelle sorte d'enfants ont-ils été? Se pourrait-il qu'un autre Pinocchio, d'une toute autre dimension que ceux qui nous ont été présentés, ait été une sorte de modèle...




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