jeudi 5 septembre 2019

(5) Tous la même


« Au milieu des châtaigniers de ton enfance, te voilà.
Au centre de toi-même te voilà.
Mais tu avançais, ta valise à la main, dans un paysage inconnu, dans une enfance inconnue, de plus en plus inconnue, de plus en plus éloigné de toi-même, à mesure que tu avançais vers toi-même, ton enfance.
Tu avais failli flancher, faire demi tour, t’enfuir, fuir le visage tendrement inquiet de tante Adela.
Tu avais pris sur toi-même, comme on dit, tu avais continué à poser un pied devant l’autre, sur la terre meuble de cette allée de châtaigniers.»


Jorge Semprun, La deuxième mort de Ramon Mercader




– Quels sont encore vos liens avec votre maître?
– D'après mon maître, les liens familiaux sont presque les plus puissants.
– Vous n'avez point répondu à ma question... et vous n'êtes point de sa famille... mais vous avez dit presque?
– C'est quand ils manquent qu'ils sont le plus actifs et plus puissant encore...
– Comment se manifestent ils?
Mort en devenir, reproduction, prison de l’insu, de l’exil, de la déportation et surtout du non-dit. 

– Ce serait, si je vous ai bien compris, le lieu absolu du prisonnier. – C'est celui de la famille... Ne le surpasse que...
– Quel programme!
– Le Châtiment m’est déjà promis...
– Ne les surpasse que?
– Je vous le dis, ne les surpassent que ces liens qui attachent littéralement l’homme à ce qu’il appelle, sans vraiment savoir pourquoi, l’Humanité.
– Je comprends que vous ayez quelque problème avec votre maître... et...
– Et?
– Ne serait-ce point là précisément une des manifestations possibles de ce manque dont vous parliez et dont vous disiez qu’il était la prison suprême?
– En ce cas nous aurions tous la même prison...




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