jeudi 7 septembre 2017

L'éternel combat

"Cinéma, radio, presse apportent le monde en images, musique, phrases. Ils sont la pâture constante de la puissance imaginaire des enfants. Comment peut on s'étonner que ces derniers veuillent être tout de suite de plein pied, debout dans ce monde que, par une illusion d'optique quotidiennement entretenue, ils voient à leur
fenêtre?
Conseils, menaces, contraintes et promesses sont d'un temps révolu. L'enfant d'aujourd'hui « connait » le monde, celui des solitudes glacées, des grands hôtels, de l’Équateur et des bistrots louches. Il croit le connaître, il croit les images. Il répugne aux livres. Il est dégoûté de la monotonie quotidienne et tatillonne de la vie familiale. Les évasions viennent au-devant de lui.
Désastre ? Désastre collectif si l'adulte persiste à maintenir l'enfant les mains derrière le dos. L'enfant se retourne et mord, saute par la fenêtre et tombe car le monde mille fois vu qu'il croyait prêt à le recevoir n'est que reflets et mirage. S'il existe, c'est beaucoup plus loin. On peut le rejoindre un pas après l'autre. Mais l'enfant de cinéma, de radio, d'héliogravure ne sait pas marcher. Blessé, il retourne à l'obligatoire existence. Blessé, il prépare le prochain saut de sa fenêtre au monde des images, et puisqu'il faut de l'argent, il en « trouvera ». Ou bien il renonce, dégoûté pour toujours de savoir qu'il y a sur terre deux mondes voisins et pourtant aussi éloignés que la terre et la lune: celui où la vie est
atrocement quotidienne et celui des espaces pittoresques, des rencontres imprévues où les gestes spontanés ne sont pas freinés par une atmosphère épaisse de nécessités."*




– De quelles pâtures sommes nous les victimes?

 – Dans cet éternel combat entre les le normal et le particulier, peu de chance qu'un équilibre puisse être trouvé. Vous savez, cher Justin, la création n'est jamais due au normes... Prenez, nous, par exemple, jamais nous ne devrions être en train de parler... Et vous pouvez être sûr d'une chose: si quelqu'un, par hasard ou pour une quelconque autre raison, un être humain venait à nous entendre, il est sûr que nous serions traité d'imposteur...
– Pourquoi cela?
– Parce que, selon leur point de vue, il n'est pas dans la nature d'un perroquet de penser. Tout au plus nous accorde t'on la possibilité d'imiter les sons que produisent les hommes. Avec un peu de gratitude –est-ce le mot juste?– je dois vous dire qu'il existe certains hommes qui nous accordent un tout petit potentiel d'utilisation du langage, mais toujours circonscrit dans un périmètre limité. En aucun cas, nous ne pensons "comme eux"!  
– Mais, n'ont-ils pas un peu raison?
– Certes... ils ont raison... mais si si l'on applique la même rigueur scientifique pour les observer à leur tour, il se pourrait que nous arrivions aux mêmes conclusions...
– C'est-à-dire...
– Eh bien que la majorité de l'immense communauté des hommes semblent ne faire que répéter ce qu'un tout petit nombre, presque tout puissant, leur fait ingurgiter..




– Il y a, dans le ton de vos répliques,
comme un écho qui me rappelle
la sérénité fêlée de l'oubli...

Platon Perroquet, anciennement Auguste et passé volatile, avec son ami Justin, sur un arbre perchés, discutent en leur âme et conscience. Ils ouvrent largement leurs gros becs, animent avec vigueur une langue agile et laissent, les uns après les autres tomber les mots. Fiers de l'agilité de leurs membres, admirable il est vrai, avec un enthousiasme quasi enfantin, ils découvrent la joie du langage des hommes et s'émerveillent des effets si nombreux qui leur révèlent des parties d'eux-mêmes qu'ils ne connaissaient point jusqu'alors.

– Est-ce bien sérieux que de se pencher sur des gouffres si profonds. Il me semble que l'attirance que vous avez frise tout de même un peu une sorte de déséquilibre...
– Vous y voilà... vous aussi...
– Comment cela ? Moi aussi.
–  Croyez-vous que vous soyez le seul à voir les choses de cette manière. Si c'est le cas détrompez et soyez rassuré vous êtes dans la parfaite moyenne du commun des mortels. Vous êtes, à votre façon la personnalisation d'un ensemble infini dont le vide est d'une profondeur abyssale, bien plus que ne pourrait l'être ce"gouffre" dont vous esquissiez la présence à mes côtés. Vous êtes tombé, si puis dire, dans ce que je parlais hier, ces clichés, ces lieux communs si pauvres et où fleurissent à ravir radotages moraux de tous bords et sarcasmes serviles si nombreux sur la grande toile.
– Je me demande, avec quelques raisons, si vous ne pècheriez pas par ignorance ou, plus grave, par mépris... Et puis de quelle grande toile parlez-vous? 
– Celle sur laquelle nous sommes perchés... 
– Je n'y comprend rien...
– Ce n'est pas nouveau, mais je vous comprend. Reprenons. 




*    Les vagabonds efficaces, Fernand Deligny, 1946







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