dimanche 10 septembre 2017

La responsabilité des uns n'est pas la responsabilité des autres


" Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir ; non pas être gouvernés, mais tyrannisés ; n’ayant ni biens ni parents, femmes ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux ! souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d’une armée, non pas d’un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d’un seul ; non pas d’un Hercule ni d’un Samson, mais d’un seul hommeau, et le plus souvent le plus lâche et femelin de la nation ; non pas accoutumé à la poudre des batailles, mais encore à grand peine au sable des tournois ; non pas qui puisse par force commander aux hommes, mais tout empêché de servir vilement à la moindre femmelette! Appellerons-nous cela lâcheté? dirons-nous que ceux qui servent soient couards et recrus ? Si deux, si trois, si quatre ne se défendent d’un, cela est étrange, mais toutefois possible ; bien pourra-l’on dire, à bon droit, que c’est faute de cœur. Mais si cent, si mille endurent d’un seul, ne dira-l’on pas qu’ils ne veulent point, non qu’ils n’osent pas se prendre à lui, et que c’est non couardise, mais plutôt mépris ou dédain? Si l’on voit, non pas cent, non pas mille hommes, mais cent pays, mille villes, un million d’hommes, n’assaillir pas un seul, duquel le mieux traité de tous en reçoit ce mal d’être serf et esclave, comment pourrons-nous nommer cela ? est-ce lâcheté ? Or, il y a en tous vices naturellement quelque borne, outre laquelle ils ne peuvent passer : deux peuvent craindre un, et possible dix ; mais mille, mais un million, mais mille villes, si elles ne se défendent d’un, cela n’est pas couardise, elle ne va point jusque-là ; non plus que la vaillance ne s’étend pas qu’un seul échelle une forteresse, qu’il assaille une armée, qu’il conquête un royaume. Donc quel monstre de vice est ceci qui ne mérite pas encore le titre de couardise, qui ne trouve point de nom assez vilain, que la nature désavoue avoir fait et la langue refuse de nommer ?"* 




– Vous savez mon cher Justin, dans un sens, étant donné sa nature, les histoires que me raconte mon maître Platon l'Ancien, sont des œuvres de pure fiction. Elles ressortent de l'imagination des uns et des autres sans que la responsabilité des uns ne puisse être attribuée à l'autre. Il ne pourrait être plus grande injustice. En conséquence, toute ressemblance, ou similitude avec des personnages et des faits existants ou ayant existé, ne saurait être que coïncidence fortuite.

– Cependant, cher Platon Perroquet, comment pourrait-il se faire que nous créions des personnages totalement indépendants de la vraie vie, ce qui fait que malgré les capacités des uns et des autres, fort inégales. Et dans ce cas il faut bien admettre que toute coïncidence ou ressemblance avec des personnages réels n'est ni totalement fortuite ni totalement involontaire.

– Vous avez raison. De fait, rien ne saurait nous faire plus plaisir que l'une ou l'autre personne inconnue de nous ne se retrouve  dans la peau de ces personnages entièrement fictifs, quand bien  même toutes ces ressemblances ne seraient que le pure reflet de l'imagination et des déformations de chacun dont l'auteur ne peut être tenu pour responsable.
Et finalement, quand mon maître me raconte:



Sur le ponton déserté de son palais, si le Sieur Guisbert avait pu connaître l'avenir, il se serait vu, blessé et meurtri par les débris de sa propre image. Il aurait pu entendre les conversations qui commencèrent ce jour-là entre le Cap'tain et son jeune chien. Il aime beaucoup les chiens, surtout les jeunes chiens. Il était loin de se douter que ce qu'il vivait là compterait parmi les plus belles heures de son existence.

– Et pourquoi donc?

– Parce dans le même temps il vivait deux aventures, et peut-être plus encore... 

– Expliquez-moi.

– La première, très désagréable, celle de constater qu'il ne fait l'unanimité. Ce qui rendrait triste n'importe qui dans la même situation...

– Je ne vous le fais pas dire...
 
– Encore eut-il fallu qu'il comprenne pourquoi.

– Et je suppose que votre maître vous a dit qu'il s'en était chargé.

– Vous avez trouvé le mot juste: il en a supporté la charge. Avant pendant et après.

– Vous aviez parlé de deux aventures en même temps, quelle est la deuxième.

– C'est simple, il en a retrouvé une certaine forme de légèreté. Celle que l'on éprouve lorsque l'illusion s'estompe... et que l'on peut, avec d'habiles ajustements et une communication adéquate, transformer la figure du perdant en celle du héros, voire même du sage... quand ce n'est pas celle de victime...

– Je vois, selon vous, la création, l'imagination ne serait pas l'apanage du seul auteur...

– C'est la moindre des choses...



Le chien :

– On m'a dit que tu voulais redonner vie et espoir à humanité, quitte à te sacrer roi toi-même : comment pouvais-tu être assez fou pour oser de telles pensées?*

Le Cap'tain :
– On a dit, on t'a dit... Qui te l'a dit?

Le chien :

– Peu importe, les mots se promènent et qui peut dire avec certitude qui en serait le maître et encore moins l'auteur...

Le Cap'tain :
 
– Tu crois donc, toi, à ce qu'on dit ou à ce qui se dit... ? Ne suis-je pas plus que roi, ou dictateur, ou empereur ! Que m'importe le nom puisque j'ai la chose. Tout cela a déjà été dit. Le malheur vient de ce que je ne peux m'en souvenir. Il eut fallu que je m'exprime plus clairement à propos de ce que j'attendais que l'on m'offrit : mon peuple me l'aurait accordé, et mes ennemis auraient fait des efforts impuissants pour m'abattre... Il est vrai que j'ai tendance à confondre le présent et le passé...*

Le chien :

– Faisons silence, si l'heure est grave, mon maître, il n'est jamais trop tard pour bien faire. Abstenons-nous de toute parole indigne et, fort de la jeunesse de notre esprit, mettons-nous en mouvement, joignons le geste à la parole...

Curieusement, si le Cap'tain n'était guère surpris d'entendre son chien parler, il était stupéfait de la justesse de ses propos. Il se demandait comment un chien qui commence à peine de parler peut formuler sa pensée de façon aussi claire. Il en déduisit pour la première fois que quelque chose lui échappait dans l'ordonnance de son monde...












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