jeudi 9 mars 2017

9 mars 2017

Dans l'extrême brièveté de notre vie, la moindre des hésitations semble nous faire perdre un temps précieux.
Il se pourrait aussi qu'elle nous en fasse gagner si l'on admet que, selon le principe de l’écoulement des fluides et de ce qui peut s'y opposer, laquelle hésitation pourrait en constituer un obstacle des plus naturellement salutaire... Il se pourrait aussi que plutôt que d'avancer sans cesse, il faille, de temps à autre, faire un léger pas de côté et, sans aucun dessein, somptueux moment, repeupler l'horizon...



« Lorsque, dans une œuvre, nous en admirons le ton, sensibles au ton comme à ce qu’elle a de plus authentique, que désignons-nous par-là ? Non pas le style, ni l’intérêt et la qualité du langage, mais précisément ce silence, cette force virile par laquelle celui qui écrit, s’étant privé de soi, ayant renoncé à soi, a dans cet effacement maintenu cependant l’autorité d’un pouvoir, la décision de se taire, pour qu’en ce silence prenne forme, cohérence et entente ce qui parle sans commencement ni fin.
Le ton n’est pas la voix de l’écrivain, mais l’intimité du silence qu’il impose à la parole, ce qui fait que ce silence est encore le sien, ce qui reste de lui-même dans la discrétion qui le met à l’écart. Le ton fait les grands écrivains, mais peut-être l’œuvre ne se soucie-t-elle pas de ce qui les fait grands.
Dans l’effacement auquel il est invité, le « grand écrivain » se retient encore : ce qui parle n’est plus lui-même mais n’est pas le pur glissement de la parole de personne. Du « je » effacé, il garde l’affirmation autoritaire, quoique silencieuse. Du temps actif, de l’instant, il garde le tranchant, la rapidité violente. Ainsi se préserve-t-il à l’intérieur de l’œuvre, se contient-il où il n’y a plus de retenue. »

Maurice Blanchot, L’espace littéraire, Gallimard Folio Essais

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