mercredi 14 mars 2018

À l'aube



"– À l'aube, dit le poète, je me suis réveillé en prononçant des mots que je n'ai d'abord je n'ai pas compris. Ces mots étaient un poème. J'ai eu l'impression d'avoir commis un péché, celui peut-être que l'Esprit ne pardonne point.
– Celui que désormais nous sommes deux à avoir commis, murmura le Roi. Celui d'avoir connu la Beauté, faveur interdite aux hommes. Maintenant il nous faut l'expier. Je t'ai donné un miroir et un masque d'or; voici mon troisième présent qui sera le dernier.
Il lui mit une dague dans la main droite.
Pour ce qui est du poète nous savons qu'il se donna la mort au sortir du palais; du Roi nous savons qu'il est aujourd'hui un mendiant parcourant les routes de cette Irlande qui fut son royaume, et qu'il n'a jamais redit le poème."

Le miroir et le masque, Jorge Luis Borges





L’aube n’avait pas encore englouti les dernières étoiles, restes de la nuit. Quelques lueurs ici ou là, liens timides avec ce qui a disparu, ne suffisaient pas pour tracer un chemin. Rien ne pouvait encore être discerné de ce qui allait arriver. Ce qui dans la nuit se révèle, en pleine lumière disparaît. Jamais, dans les yeux de l’enfant Lune, l’abîme ne s’était fait sentir. Le sort de chacun dépend de sa capacité de lecture non de ce qui serait écrit. Les conséquences bien réelles de sa vision du monde feraient sans aucun doute s’ouvrir, un jour ou l’autre, quelque chose de compliqué aux innombrables significations, de prime abord inimaginables, mais finalement fruit d’une logique sans faille. Une petite voix, presque inaudible, lui disait qu'il suffisait d’attendre. Ce qu’il faisait, mais sans aucunement y penser. La pensée, elle aussi pouvait attendre. L’enfant Lune, sans aucun effort, existait dans un monde sans pensée, ce qui est un monde bien difficile à imaginer, mais qui faisait qu’il lui était parfaitement impossible de résister à quoi que ce soit.

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