lundi 5 mars 2018

Le gardien de l'ombre


"La maison est notre coin du monde. Elle est (…) notre premier univers. Elle est vraiment un cosmos. Un cosmos dans toute l'acception du terme. Vue intimement, la plus humble demeure n'est-elle pas belle? Les écrivains de l'humble logis évoquent souvent cet élément de la poétique de l'espace. Mais cette évocation est bien trop succincte. Ayant peu à décrire dans l'humble logis, ils n'y séjournent guère. Ils caractérisent l'humble logis en son actualité, sans en vivre vraiment la primitivité, une primitivité qui appartient à tous, riches ou pauvres, s'ils acceptent de rêver. (…) Par les songes, les diverses demeures de notre vie se compénètrent et gardent les trésors des jours anciens. Quand, dans la nouvelle maison, reviennent les souvenirs des anciennes demeures, nous allons au pays de l'Enfance Immobile, immobile comme l'Immémorial. Nous vivons des fixations, des fixations de bonheur. Nous nous réconfortons en revivant des souvenirs de protection. Quelque chose de fermé doit garder les souvenirs en leur laissant leurs valeurs d'images. Les souvenirs du monde extérieur n'auront jamais la même tonalité que les souvenirs de la maison. En évoquant les souvenirs de la maison, nous additionnons des valeurs de songe; nous ne sommes jamais de vrais historiens, nous sommes toujours un peu poètes et notre émotion ne traduit peut-être que de la poésie perdue."

Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, [1957], PUF, 1974. 



L'enfant-lune, malgré le fait qu'il ne voyait pas ce que tout autre que lui eut vu, était loin d'être indifférent aux choses de son monde. L'un de jeux préférés était de se tenir juste à la limite de ce qu'il ressentait. S'il restait toujours dans la partie ombragée de sa planète, il ne manquait jamais l’occasion d'en caresser, même furtivement, la partie ensoleillée...
 L'enfant-lune, cela ne peut se voir, possède un certain savoir, celui de s'entretenir avec lui-même. Il ne semble muet que du dehors...

– Si le monde était un théâtre, je serais le gardien de l'ombre...
– Côté cour, ou côté jardin?
– Tous deux sont concernés, voyons. Ne le saviez-vous pas? En toutes choses l'ombre et la lumière cohabitent... Si l'un des deux ne se voit ce n'est point parce qu'il n'est pas là...
– Et, dans ce cas, où se trouve-t'il?
– Dans ce cas, comme vous dites, c'est parce que l'un se dissimule derrière l'autre...
– Et inversement... 
– C'est comme vous dites!
– Non, c'est comme vous dites, vous.





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