"Les
poètes ne sont pas des sirènes qui nous détournent du monde et de nous
par leur chant. Ils n'aménagent pas l'imaginaire. Ils éveillent à la
réalité. Ce mot «réalité» est lui-même endormi. Il est banalisé par
l'usage, usé par les abus de langage, dont le pire est le plus quotidien: toujours parler sans jamais dire. Il est devenu un assignat qui
n'assigne plus à rien ; alors que nous ne devrions le prononcer que dans
la joie ou dans la crainte et le tremblement. Qu'est-ce que la réalité?
Un poète justement, Hugo von Hofmannsthal, a répondu dans l'abrupt :
la réalité est une signifiance insignifiable*. Nous ne l'éprouvons que
dans le saisissement. Elle nous saisit dans notre existence même, qui,
tout à coup et telle que nous ne l'attendions pas, s'ouvre à elle-même
dans l'instant. Elle surgit avec l'événement -qui met tous les signes en
déroute. Un événement-avènement ne se produit pas dans le monde. C'est
lui qui ouvre le monde. Tous les systèmes de référence jusqu'alors
opérants s'effondrent. L'événement est transformateur; et nous ne
l'accueillons qu'à nous transformer nous-même. «Je ne deviens qu'en tant
que quelque chose m'arrive. Et quelque chose n'arrive (ne m'arrive)
qu'en tant que je deviens**.»"
* Hugo bon Hofmannstahl, Buch der Freunde, Herausg. R. À. Schröder, Insel Verlag, 1929, 2 Auflage, p.48
** Erwin Straus, Vom Sinn der Sinne, Springer Verlag, Berlin, 1956 p.372
Si ce que l'enfant Lune entendait, cette petite voix qui semblait venir des images que l'oiseau Lune traçait littéralement sur sa planète et dans le regard de l'enfant... était une voix qui lui était spécialement adressée ou si par un hasard quelconque, indéfini pour le moins, cela n'était pas le cas, alors il faudrait reconsidérer ce qu'est la propriété et surtout l'origine des idées...
– Comment se fait-ce que je puisse penser que ce que je pense m'appartient?
– Il ne fait aucun doute que c'est cette petite voix qui est à l'origine du questionnement, se disait-il... ou est-ce à nouveau cette petite voix qui fait des siennes?
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