mardi 20 mars 2018

Ouverture


" Pour illustrer ce que nous entendons par «ouverture», nous voulons citer ici une très belle page de Jankélévitch."
« L'Étude* consiste à penser tout ce qui dans une question est pensable, et ceci à fond, quoi qu'il en coûte. Il s agit de démêler l'inextricable et de ne s'arrêter qu'à partir du moment où il devient impossible d'aller au-delà; en vue de cette recherche rigoureuse, les mots qui servent de support à la pensée doivent être employés dans toutes les positions possibles, dans les locutions les plus variées; il faut les tourner, les retourner sous toutes leurs faces, dans l'espoir qu'une lueur en jaillira, les palper et ausculter leurs sonorités pour percevoir le secret de leur sens, les assonances et résonances des mots n'ont-elles pas une vertu inspiratrice? Cette rigueur doit être atteinte parfois au prix d'un discours illisible: il s'en faut de peu, en effet, qu'on ne se contredise; il suffit de continuer sur la même ligne, de glisser sur la même pente, et l'on s'éloigne de plus en plus du point de départ, et le point de départ finit par démentir le point d'arrivée. C'est à ce discours sans failles que je m'astreins, à cette " strenge Wissenschaft", science rigoureuse, qui n'est pas la science des savants et qui est plutôt une ascèse. Je me sens provisoirement moins inquiet lorsque, après avoir longtemps tourné en rond, creusé et trituré les mots, exploré leurs résonances sémantiques, analysé leurs pouvoirs allusifs, leur puissance d'évocation, je vérifie que je ne peux décidément aller outre . Certes la prétention de toucher un jour à la vérité une utopie dogmatique; ce qui importe c'est d'aller jusqu' bout de ce que l'on peut faire, d'atteindre à une cohérence sans failles, de faire affleurer les questions les plus cachées, les plus formulables, pour en faire un monde lisse.»

Lire aux éclats, Éloge de la caresse, Marc-Alain Ouaknin, Préface à la troisième édition 1992, page IV

*Quelque part dans l'inachevé, W. Jankélévitch, Gallimard, 1978, p.18 

– Connaissez-vous cette construction?
– Pas plus que vous. 
– Croyez-vous que nous puissions y pénétrer?
– Je n'en sais rien. Frappez donc à la porte avec votre bâton et vous verrez bien si l'on vous répond...

C'est ainsi que l'enfant s'approche, monte les trois marches qui l'amène à la lourde porte et frappe. Un coup... puis deux... puis trois...


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