mercredi 31 octobre 2018

(31) Plaisir aristocratique


" Au café, je n'ai que les quelques feuilles de papier et les notes ou le livre que j'ai apportés. Je m'isole, certes, mais je mets aussi mon occupation en rapport avec celles des autres habitués, que je connais ou que je devine. Leur compagnie me rassure. J'ai aussi le sentiment de me situer dans l'histoire. Les cafés ont été des lieux de liberté, où des idées sont nées, où elles ont commencé leur carrière. Je m'imagine continuant cette tradition qui va du café de la Régence où se déroule Le neveu de Rameau au Flore où Sartre a écrit l'Être et le néant, si je ne me trompe.
Mais mon goût du retrait va plus loin. Ce qui m'importe, quand je m'installe ainsi, c'est de me sentir dégagé de toute obligation, même de celles qui viennent de moi. Dans cet endroit où je ne possède rien, mais dont je prends possession en disposant à ma guise les quelques objets que j'admets sur ma table, je renoue avec moi-même. C'est un plaisir aristocratique."

Jean-François Billeter, Un paradigme



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