lundi 29 octobre 2018

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" On n'accomplit pas un tel texte sans une capacité de langue hors du commun, où le progrès des temps n'a pas cours: le grand rythme hypnotique de Rabelais s'écrit à l'intérieur même des mots, dans la pâte même du texte et ses reprises sonores. Qu'on remplace cet équilibre en changeant le vocabulaire des signes, on pose sur le texte une grille visuelle redondante: les mots répètent ce que le signe ou le découpage rajouté induisent, et cesse ce déséquilibre qui fait tout pencher vers l'avant, entraîne hypnotiquement à lire toujours. Aucune édition actuellement disponible n'a pourtant résisté à la tondeuse. On s'en est tenu donc à la plus stricte fidélité, à cette force abrupte où la ponctuation ne marque que le souffle du théâtre, dans le défi qu'au bout du compte la lisibilité même y gagne. Nous aurions préféré ne pas avoir l'exclusivité de ce Rabelais-là.
La première surprise est qu'on se retrouve chez nous. Les disjonctions par glissements et sautes de Proust, et cette manière de l’œuvre de se générer par elle-même à chaque boucle: elles sont pratiquées ici. Les grands éboulements dans des mots transformant à chacun leur propre loi de fonctionnement et de compréhension, où Joyce nous fascine, ils s'élaborent ici et lui le savait. Les filées denses et sans paragraphes où toute l'acidité monte de ces collages d'interlocuteurs, charroi serré s'agrippant par les ongles à ce à quoi sa colère s'en prend : il y a, au moins plastiquement, quelque chose de nos blocs contemporains de littérature (comme se présentaient Dostoievski ou Thomas Bernhard)  dans le Rabelais tel qu'il s'imprimait, et que nous remettons sur ses pieds. Cascades de double point, insertions de parenthèses: d'autres grands textes d'aujourd'hui, pour regarder en face la violence du monde, reconduisent à la machine-prose du Pantagruel.
Alors, difficile à lire, exigeant des connaissances précises de vocabulaire obsolète et d'anciennes syntaxes? Qu'on fasse l'essai au hasard, et qu'on pense tout cela dit à grande voix. «Une langue étrangère qu'on se découvrirait savoir d'avance», dit Valéry, et c'est déjà assez pour se risquer en terrain dont même l'étrangeté ajoute à la lecture, éclairages dont nous sommes déshabitués, et la verdeur, et le bas-ventre: au théâtre on sait apprécier et désirer ces effets qui immédiatement vous déroutent, et rendent les mots plus flottants. Le Pantagruel ne s'est jamais présenté comme le livret populaire qu'on prétend. La difficulté où nous sommes nous-mêmes chaque fois qu'on reprend l'extrême de syntaxe qu'est encore Mallarmé, et ce qu'on se sait lui devoir pourtant, et cette pulsion qu'on a d'y revenir, voilà plutôt le point de départ exigeant pour lire Rabelais. Une difficulté est là, qui n'est pas due au décalage des temps, mais à ce qu'affronte en elle son écriture. "



François Bon, Quart Livre, territoire inconnu

 


Trois-cents-vingt-quatrième rapport de Don Carotte


Ce que je vous disais ne résonnait point chez vous et dans ce petit cercle que nous tentions, vainement, de former, mais dans un ailleurs certes plus large mais dont je n’avais aucune connaissance.
L’immense effort que je déployais alors ne servi à rien ou presque si peu en tous cas. Rien ne put vous enlever de la tête le fait bien ancré que je vous en voulais... Aucune base si solide soit elle n’eut pu vous convaincre du bien fondé de ma démarche bien que j’en eu soupesé le moindre terme. Il suffisait d’un simple mouvement d’humeur pour que les rails puissants dans lequel votre esprit voulait n’en point sortir, vous projetait dans cette humeur de victime qui vous est propre... qui est devenu votre fond de commerce... et dont vous savez si bien jouer...

 




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