samedi 11 novembre 2023

Il en est ainsi

 


– Vous arrive-t’il de ne pas pouvoir dormir?
– Rien de plus normal  à première vue… par exemple quand je me suis bien reposé…
 

– Je ne parlais pas du simple fait de se réveiller  parce qu’il est l’heure de se lever, quand on a bien dormi ou de ne pas se coucher parce que l’on veut prolonger une soirée par plaisir…
– Alors, dites-moi!
– Je parle du fait de ne jamais dormir…
– Ce n’est pas possible!
– C’est surtout angoissant… on a l’impression que cela ne finira jamais…
– Qu’est-ce qui me finirait jamais?
– La vigilance… qui ne commence ni ne finit point… une impression de vertige sans commencement ni fin. Un passé perpétuellement indifférencié du présent dans lequel rien ne se renouvelle… Comme dit Emmanuel Levinas: Vigilance, sans refuge d’inconscience, sans possibilité de se retirer dans le sommeil et s’y retirer comme dans un domaine privé.
– Vous m’effrayez!
– Vous le seriez bien plus encore si cela devait vous arriver…
– Pourquoi cela devrait-il m’arriver…
– Pardonnez-moi… mais ne sommes-nous point, déjà, et par nature, comme retirés dans un domaine privé?
– Je crois que vous avez découvert la cause probable de mes insomnies…
– Je crois comprendre ce que vous dites… mais…
– Continuez!
– Je crains de dire ce que je ne devrais point…
– Courage!
– Je crois que malgré le fait indéniable que nous savons ce qu’est  le sommeil, nous ne l’avons jamais vraiment expérimenté… en tous cas moi…
– Cela ne m’étais jamais venu à l’esprit!
– Le sommeil est de l’ordre de la magie…Il vous transporte à volonté là où vous le désirez et il n’est plus rien d’impossible dans ces endroits de rêve… Si nous étions des êtres de chair et de sang… nous sortirions du monde naturel ou nous y entrerions du simple fait de nous être endormis…
– C’est étrange… je crois que j’aimerais cela!
– C’est un désir impossible…
– Je redoute ce que vous allez dire…
– Il faudrait pour cela que nous appartenions au monde naturel…
– Mais n'en est-il point ainsi!
– Nullement.
– Taisez-vous… vos paroles ne m’apportent rien de bon… J’ai l’impression d’être un sans-monde… prisonnier d’une apparence qui ne dépend en rien de moi-même, sans possibilité de trouver un abri et sans avoir de notion de début ni de fin… à répéter stupidement et bien imparfaitement ce que vainement nous essayons de comprendre…
– C’est ainsi que nous avons été mis au monde… et plus encore…
– Que peut-il y avoir de plus?
– C’est ainsi que nous créons le monde… enfin… le nôtre du moins…
– C’est beaucoup dire…
– Vous l’avez dit…










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