vendredi 23 août 2024

À crédit

 
« Au fur et à mesure que j'écris, mes camarades de cellule s'assoient près de moi et regardent la télévision.
Je peux écrire n'importe où - le son et le mouvement ne me distraient pas. En fait, une fois que je commence à écrire, j'arrête de remarquer ce qui se passe autour de moi. J'entre dans une pièce invisible toute seule et je coupe mes liens avec le reste du monde.
J'oublie tout ce qui ne fait pas partie de ce sur quoi j'écris.
L'oubli est la plus grande source de liberté qu'une personne puisse avoir. La prison, la cellule, les murs, les portes, les serrures, les problèmes et les gens - tout et tout le monde mettant des limites à ma vie et me disant que vous ne pouvez pas aller au-delà" est effacé et disparu.
L'acte d'écrire abrite un paradoxe magique - c'est quelque chose dans lequel vous pouvez vous réfugier et vous cacher tout en vous ouvrant au monde et en vous répandant avec vos mots.
Il vous permet non seulement d'oublier, mais aussi d'être rappelé. »

Ahmet Altan, I never see the world again, Granta




Ce n'est que lorsque nous nous arrêtions que je pouvais observer Désiré. Il devenait de plus en plus nerveux. Depuis un certain temps il ne me parlait plus. Il semblait préoccupé. La dernière chose qu'il m'ait dite était que nous nous rapprochions... J'avais ajouté, comme pour plaisanter, mais à voix basse et sans savoir pourquoi:
– Dangereusement...
Simplement parce que la manière dont il avait parlé, me le fit penser. Il s'était légèrement cabré et effectué un tour complet sur lui-même, les naseaux grands ouverts. C'est alors que je vis au loin ce qu’il savait depuis longtemps:sur une colline toute semblable à celle sur laquelle nous nous trouvions, deux hommes arrimaient une grande tente. Ils attachaient des cordes à de gros rochers ronds, suffisamment lourds pour que le chapiteau ne fut pas emporté par les vents violents soufflant sur le sommet.



Je ne m’étais pas aperçu du fait que Désiré avait grandi pareillement. Je n’imaginais pas à quel point il était capable de ressentir et de réagir… comment aurais-je pu savoir… Aussi vite qu'une rivière de montagne pendant l'orage,  tout avait changé! Comment est-ce que cela fut possible? Je le saurais peut-être bientôt et il se peut que vous le sachiez bientôt... Ce n'est que lorsque nous...

Que le très éventuel lecteur me pardonne… cette interruption… J’écris, je dessine et j’oublie à crédit… Chaque jour je rembourse une petite partie… Quelques fois plus, et il m’arrive de verser intégralement ce que j’avais emprunté sans que, pour autant, la dette ne s’efface…




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