dimanche 11 août 2024

Suspension

 
« Il s'agit en effet de ce commencement de la culture qui est, pour nous, le début de toute conscience, de l'instant qui marque la naissance de notre espèce en tant que telle et de l'aurore qui seule éclaire ce que nous pouvons concevoir. C'est pourquoi l'on pourrait dire d'un tel "commencement" ce que disent les astrophysiciens à qui l'on demande ce qu'il y avait avant le Big Bang: «Avant, il n'y avait rien.» Ou bien: «En supposant même qu'il y ait eu quelque chose avant, nous n'en saurons jamais rien.» Ou encore, en parlant de la courbure de l'espace-temps, à la question: «Qu'y a-t-il au-delà?», ils répondent: «La question est dénuée de sens du fait qu'il ne saurait y avoir "d'au-delà" en ce sens.» Le monde réel se présente à nous comme pris dans mais aussi comme constitué par le champ de force de notre culture. Tout ce qui est se trouve dans ce champ de force, et il ne saurait y avoir d'en-dehors pour la bonne raison qu'il n'y a aucun "espace" hors de l'espace. Il n'empêche que chaque culture se voit contrainte d'embrasser progressivement ce qui est au-delà d'elle-même, en élargissant sans cesse ce champ de force au prix d'efforts et d'angoisses considérables.
En terme de connaissance, notre saisie du monde commence donc avec le verbe - avec, si l'on veut, cette conjonction de l'action et du verbe, de la manipulation (du geste) et de la parole, ou encore, plus fondamentalement encore, avec cette fusion des deux dans l'image et dans la question qui, la première, les rend présentes à notre conscience. "Avant", c'est seulement cette "région" sans temps qui subsiste au cœur de toute culture (et que désigne aussi bien l'idée d'éternité), cet instant de suspension qui est au centre de la question et dans lequel il n'y a ni avant, ni après, puisqu'il s'agit d'un domaine de représentation intemporelle.»

Michael Francis Gibson, Ces lois inconnues, Métailié, p.87

 
 

 
Suspendu dans les limbes du temps depuis toujours, sans se préoccuper d’un avant ou d’un après, dans le mystère de ses yeux fermés, il tente de percer les mystères du mouvement. De la marée et de la courbure des vagues il ne sait rien d’autre que ce qui se passe à l’intérieur de lui-même. Par quel miracle s’est-il, un jour, rendu compte du jeu de relations entre la Terre, le Soleil et la Lune et de mouvements permanents? Personne n’en sait rien., mais désormais, pas à pas, dans un commencement incessant, sans effort et sans angoisse, ils sont scruté depuis sa minuscule barque.





Dès l’aurore ce matin-là, se confondant avec la chaleur naissante due aux rayons du soleil, de toute évidence il ne savait pas mais le feu s'était invité sans que cela eut de graves conséquences. Parfaitement inconscient, il l’avait traversé comme d’autres traversent la rue. La lune, s'il l'avait vue, lui aurait permit de distinguer visuellement ce qu'il parvenait pourtant à observer presque aussi bien avec ses autres facultés. Sans les comprendre, le flux et le reflux lui donnait une sorte d'énergie qu'il ressentait intérieurement sans s'efforcer d'en prévoir la venue. Il agissait comme s'il était animé par une immense mécanique d'horlogerie. Comme les ondes multiples se propagent à travers les océans à des vitesses différents en venant se frotter aux plateaux continentaux, il en était de même à l'intérieur  de lui-même.


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