dimanche 25 août 2024

Génie

 
« Une expression latine exprime à merveille le rapport secret que chacun d'entre nous doit savoir entretenir avec son Genius: indulgere Genio. Il faut consentir à son Genius, s'abandonner à lui, nous devons lui céder tout ce qu'il nous demande, parce que ses exigences sont les nôtres, son bonheur notre bonheur. Quand bien même ses prétentions -nos prétentions - pourraient sembler déraisonnables et capricieuses, il est bon de les accepter sans discuter. Si, pour écrire, vous avez besoin - s'il a besoin - de ce papier jaunâtre, de ce stylo spécial, s'il faut précisément cette lumière pâle qui tombe de votre gauche, il est inutile de se dire que tout stylo quel qu'il soit fera l'affaire et que tout papier comme toute lumière sont bons. S'il ne vaut pas la peine de vivre sans cette chemise de lin céleste (et par pitié, surtout pas la blanche avec son petit col d'employé), si on sent bien qu'on ne peut pas s'en sortir sans ces cigarettes longues au papier noir, il ne sert à rien de se répéter qu'il n'y a là que des manies et qu'il serait temps, finalement, d'y mettre bon ordre. Genium suum defraudare, frauder son propre génie, signifie en latin: s'empoisonner la vie, se faire du tort. Genialis, géniale, en revanche, cette vie qui éloigne le regard de la mort et répond sans ambages à l'élan du génie qui l'a engendrée.
Mais ce Dieu si intime et si personnel est aussi ce qui en nous est le plus impersonnel, la personnalisation de ce qui, en nous, nous dépasse et nous excède. «Genius est notre vie, en ce qu'elle ne trouve pas en nous son origine mais que nous trouvons la nôtre en elle.» S'il semble s'identifier à nous, ce n'est que pour se révéler tout de suite après comme plus que nous, pour nous montrer que nous sommes plus et moins que nous-mêmes. Comprendre la conception de l'homme renfermée dans Genius signifie comprendre que l'homme n'est pas seulement Moi et conscience individuelle, mais que, de sa naissance jusqu'à sa mort, il cohabite avec un élément impersonnel et préindividuel. C'est donc dire que l'homme est un seul être à deux phases qui résulte de la dialectique compliquée entre une partie qui n'est pas (encore) individuée et vécue et une partie déjà marquée par le destin et l'expérience individuelle. Mais cette partie impersonnelle et non individuée n'est pas un passé chronologique que nous avons laissé derrière nous une bonne fois pour toutes et que nous poubons, éventuellement, nous rappeler par la mémoire; elle est toujours présente, en nous, avec nous et inséparable de nous, dans le bien comme dans le mal.»

Giorgio Agamben, Profanations, Rivages poche, p. 9-10


 

C'est ainsi que je me réveillerais, quelques jours plus tard, confortablement installé dans la crèche de mon bon génie, Désiré, et d’un bœuf, qui se révélera être une vache... Ce fut, comme une nouvelle naissance... Ma blessure à la tête s'était refermée sous l'action des langues râpeuses de mes hôtes...
 

La renaissance de Don Carotte au cirque
ainsi que l'ingénue apparition d'un nouvel âne
qui s'intéresse fort à son histoire.
Lidane Liwl
Edition "Renaissance"


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