jeudi 6 septembre 2007

Le dos au mur


Michel et son collègue, le dos au mur, se voient dans l'obligation de transcender leurs savoir respectifs. Ils avaient dans une de leurs mains le Juge tout puissant de leur communauté. Mais cette n'était qu'un artifice de bois et de tissus tendus et tenus par des bouts de ficelle. Ce qu'il leur fallait était un sens à tout cela. Ils avaient l'obligation de mettre en commun ce que justement ils n'avaient jamais réussi à faire malgré un côtoiement jounalier de plusieurs décennies. Ils n'avaient pas de temps à perdre. Ce qu'ils construisirent fut admirable.


Michel le cerveau de la bande, fit appel aux nombreuses lectures qu'il avait fort heureusement emmagasinées. Hardiment il puisa force et sagesse dans les "Le traité de mécanique" ou "Les vies incroyables des ingénieux d'antan" de Ihsan Oktay Anar traduites par Ferda Fidan aux Actes Sud :

"Quand il eut calculé que dans cette atmosphère ou l'air se raréfiait, il n'avait plus que dix minutes à vivre, il se compara à Jonas. Il pensa que le monstre qu'il avait inventé venait de l'engloutir qu'il allait mourir à l'intérieur de ce dragon. Et pourtant il s'était imaginé que celui-ci était une partie de son moi. Il se souvint alors d'une autre de ses oeuvres qui était une partie de son moi comme toutes les autres : la boîte à musique en fer dont il avait espéré faire présent au padichah comme il l'eût fait d'un esclave docile Quand on ouvrait la boîte, il en surgissait un bouton de rose, et jusqu'à la fin de la mélodie exécutée par des cloches, les feuilles en fer de la rose s'ouvraient une par une. Il se demanda quelle était cette chose qui faisait s'ouvrir cette rose métallique dont il avait rassemblé feuilles en fer au moyen de chevilles après les avoir battues dans les flammes une par une. Cette chose, c'était la force ou la contrainte. Les cloches elles-mêmes exécutaient leur mélodie à leur corps défendant, sous la contrainte. Ou plutôt les forces de la nature avaient été emprisonnées dans cette boîte à musique. Ces forces prisonnières constituaient à la fois la force et le pouvoir de la personne qui les possédait, en l'occurrence de Yâfes çelebi Ainsi se rendit-il compte que ce qui le rendait malheureux depuis des dizaines d'années n'était autre que cette soif du pouvoir qui dominait son moi. Jusque-là tout avait été pour lui une source de pouvoir: le feu était une force qui actionnait les machines à vapeur, faisait tourner les roues ; la terre regorgeait de fer, d'or, d'argent et de diamants ; et le vent était une force qui faisait tourner les moulins. Le soufre, le salpêtre et le charbon étaient quant à eux des forces qui constituaient le principal aliment des armes. Il n'était pas jusqu'aux hommes en uniforme, en armes, et peu enclins à la réflexion, qui ne constituassent une force difficile à maîtriser, tant qu'ils étaient aux ordres d'un Yâfes Çelebi. Or voilà, lui qui était dévoré par cette soif du pouvoir, depuis des années il avait considéré le monde comme la somme des puissances, des contraintes et des forces, et il avait toujours voulu le dominer. il avait toujours poursuivi le désir d'être le sujet de toutes les forces et de toutes les actions, et non seulement il avait transformé une masse de fer en boîte à musique, mais encore il avait essayé de transformer en machine le monde même et son contenu. Le plus pathétique, c'est qu'il s'était pris lui-même pour une machine; il avait toujours voulu y ajouter de nouvelles pièces, de nouveaux rouages, des treuil, des écrous, des roues dentées, des couteaux, des pistolets, des canons et compenser son handicap, mais ce handicap, que ces béquilles n'avaient en rien diminué, s'étaient aggravé toujours plus à mesure que ce qu'il appelait la machine de pouvoir, c'est-à-dire son être véritable, grandissait avec des désirs sans fin"...


Le Juge Tancrède se rendait-il comptes de la complexité de la situation ? Nul ne le saura jamais avec certitude. Mais ce dont nous pouvons être sûr, car cela fut mis par écrit et conservé dans nos archives, c'est que Michel au moins le savait. Il écrivit :
"Ce qui est sûr est le fait que nous ne pouvions nullement nous soustraire à la représentation de Marcel. Si par maladresse ou omission de coeur je me fus mis à tenir un discours inadéquat, par exemple d'une trop grande fidélité aux textes qui nous donnaient force et vigueur, nous nous serions retrouvés, mon collègue et moi , lui du dedans et moi du dehors, dans "de beaux draps". Ce qui en fait était déjà le cas. Nous risquions alors une condamnation des plus sévères allant jusqu'à la disparition pure et simple. De ce fait nous nous donnions corps et âme à cette sorte de création dans laquelle se jouait l'entier de notre destin. Que de prouesses nous fîmes alors, qu'elles soient de nature mécanique ou pensée. Notre problème principal était qu'il fallait que nous nous oublions nous-même afin que Marcel vive au travers de nous, non comme une simple machine mais comme un être de coeur et de sang. Il ne nous vint pas à l'idée que le juge lui-même se trouvait presque dans la même situation que nous... Alors même que j'occupais, géographiquement au levant, son exacte place dans l'ombre invisible de la tribune officielle et que mon pouvoir, plus encore que celui de mon collègue, se rapprochait dangereusement du sien..."

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