dimanche 30 septembre 2007

L'ordre ne tient qu'à cela


Pour raconter au juge et à Michel sa rencontre avec Marcel, Timothée n'utilise guère le ton ferme et convainquant en usage dans la forteresse. Tous deux doivent faire preuve d'une grande attention et tendre leurs oreilles au maximum pour capter son mince filet de voix. Est-ce l'effet du hasard, l'effet tardif d'une technique presque oubliée ou encore une réminiscence de l'enfance : ils ferment les yeux...
- Si Marcel est, à ma connaissance, le premier à montrer ce que peut réaliser un âne en tous points pareil à nous-même, il est donc l'âne premier. En quelques stances harmonieuses il réussit à me faire comprendre ce que j'ai refusé de voir toute ma vie.
- Le monde n'est qu'une parole qui s'agite plus ou moins bien dans un ordre plus ou moins aléatoire qui varie au gré de nos grimaces qui dansent au son de la musique entraînante de notre orgueil et des besoins de ceux qui nous gouvernent, me dit-il en regardant au loin. L'ordre ne tient qu'à cela et bien que cet ordre nous soit, au plus haut point néfaste, nous persistons à le croire si bénéfique et protecteur que nous finissons par l'aimer.
Il ne parlait pas beaucoup et me semblait aussi lointain que l'eau des chutes qui nous servait de décors. Il me lisait de mémoire des poèmes admirables que jamais je n'entendis déclamer. Les mots sortaient de sa bouche comme l'eau surgit de sa source. Je ne le reconnaissais point.
- Je ne suis plus le même me dit-il en lisant sur mon visage le néant creusant son trou d'une curiosité qu'il devinait tout autant qu'il la voyait.

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