lundi 17 septembre 2007

Les « Relevés »


Michel, lui, a trouvé quelques chose qui l'intrigue dans les affaires de Marcel : un petit carnet dans lequel, pour commencer, il ne voit que d'innombrables minuscules taches qui couvrent des pages et des pages. Cela le laisse perplexe. Son esprit flotte. C'est probablement ce léger flottement qui lui permet de voir ce qu'il allait avoir tant de peine à expliquer. Et puis, sans qu'il le décide vraiment, son esprit se laisse emmener. Lentement il se met à observer, et même à vivre des scènes anciennes de la vie des hommes. Quelque chose de très primitif qui l'enfonce dans sa perplexité. Moins il raisonne plus il a l'impression de leur donner vie. S'il se penche pour en admirer les détails, ceux-ci disparaissent et redeviennent des taches dans lesquelles il peine à reconnaître ce qui l'instant d'avant pouvait paraître si vivant. Alors dans les mêmes traits il voit quelque chose de complètement différent.
- Voilà qui n'arrange pas nos affaires. Je deviens comme Marcel. Je commence à flâner sur le chemin des réalités multiples. Si la courbe s'accentue, dans peu de temps j'y croirais et ainsi me perdrais...
Michel se promet de ne rien dire, mais cache le livre sous le manteau. Menu larcin et rare intrépidité, qu'il ne doit qu'à sa faiblesse, et qui ajoute à sa déroute.


En cachette il le feuillette. Une tache captive son attention. Il y voit un homme en guenilles, plein d'une énergie débordante, et pourtant si maigre que ses os semblent être à nu. Il tient, en l'éloignant de son corps délabré comme un objet brûlant, ce que lui voit comme une lanterne.
- Sa lanterne éclaire-t'elle ma réalité ou la sienne ? Est-ce moi qui suis aveugle et invente sa réalité ou bien est-ce le contraire..?
Par hasard, au moment de tourner la page, celle-ci montre en transparence les traces d'une écriture qu'il déchiffre lentement :
"L’image de la mort se mêle au visage de l’amour. Les chairs se défont, laissant apparaître le crâne rieur et sanguinolent de la mort. Son rire s’enfonce cruellement dans les profondeurs de la nuit, réveillant sans pudeur les « Relevés »qui s’etaient mis à rêver. Leurs rires rejoignent, indécents, le rire de la mort. Autour de la nuit, ils dansent et sans vergogne s’accouplent au hasard…
- Dis-moi qui sont ceux que tu appelles les « Relevés » ?
- Ce sont ceux qui comme moi, attachés à leur monde ont dû plier pour ne point trop bas tomber et garder un certain équilibre. Ils sont relevés par le miracle de la seule présence de celle que j’appelle « La Cartographe » et qu’ils appellent la « Grande Mer ». Ils arrivent, avec peine, à se tenir debout, mais ne peuvent plus rien décider par eux-mêmes. Ils sont prisonniers de son regard qu’ils cherchent et ne peuvent que deviner. Ils se soumettent à ce que ceux qui l’ont vu et savent le dire. Ils ne connaissent guère le prix qu’ils payent..."*

*La Cartographe, Daniel Will, Ed. Haut de la mer et tasse d'été

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