lundi 23 octobre 2017

Quelque chose bouge...


 "Il y a bien des années, j’ai vu dans une rame de tramway une affiche qui, si les choses importantes étaient à leur vraie place dans le monde, aurait trouvé ses admirateurs, ses historiens, ses exégètes et ses copistes comme n’importe quel grand poème ou n’importe quel grand tableau, ce qu’elle était tout à la fois. Mais, comme il peut arriver parfois lorsque nous recevons des impressions inattendues et très profondes, le choc a été si violent, l’impression m’a percuté, si je puis dire, avec tant de force, qu’elle a transpercé le sol de ma conscience et qu’elle est restée cachée dans l’obscurité pendant des années quelque part en moi sans que je pusse la retrouver. Je savais seulement qu’il s’agissait d’un bicarbonate de soude, le « sel Bullrich » et que l’entrepôt original de ce sel était une petite cave. (…) Au premier plan, une voiture tirée par des chevaux avançait dans le désert. Elle transportait des sacs sur lesquels était écrit : « Sel Bullrich ». Un de ces sacs était percé et du sel avait déjà coulé par terre sur une certaine distance. A l’arrière-plan, dans le désert, deux poteaux portaient une grande enseigne avec les mots « est le meilleur ». Mais que faisait la trace de sel sur la piste dans le désert ? Elle traçait des lettres qui formaient les mots « Le Sel Bullrich ». L’harmonie préétablie d’un Leibniz n’était-elle pas un simple enfantillage à côté de cette prédestination si précisément inscrite dans le désert ? Et cette affiche ne donnait-elle pas une métaphore de certaines choses dont personne n’a encore fait l’expérience ici-bas ? Une image de la quotidienneté de l’utopie ?"*



– Peut-être... mais regarde mieux, on dirait que quelque chose bouge... et vient dans notre direction!




– Te souviens-tu, Nounours, lorsque il y a quelques jours nous discutions je te posais la question: 
D'où viens-tu, Nounours?  
– Je me souviens, je t'ai répondu que je venais de jadis, même si jadis n'est pas un lieu...   
– Et c'est pourtant bien de là que nous venons... de ce pays de l'enfance dont tu parlais... 
– Et tu m'as dit alors: ... comme au temps jadis, tout le monde s'y rejoint un jour... Impossible d'y échapper... Qui donc pourrait y échapper?
– C'est cela...
 – Eh bien regarde bien: on peut sortir du pays de l'enfance... là devant nous, ce nageur...
On peut... mais c'est dangereux..
– Se pourrait-il que..? 




*Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXème siècle, « Passages », Cerf, 1982, p.193




Aucun commentaire: