lundi 20 avril 2020

(20) Une source


Un froid inégalé s’est infiltré.
Des commandos volants sont venus par la mer.
Le golf s’est rendu et toutes ses lumières.
La ville est tombée.

Je suis innocente et prisonnière
dans Naples soumise
où l’hiver
élève au ciel le Pausilippe et Voméro,
où ses éclairs blancs ravagent
les chants,
où de ses tonnerres rauques
il fait valoir le droit.

Je suis innocente, et jusqu’à Camaldoli
les pins émeuvent les nuages;
et inconsolée, car les palmiers
ne seront de sitôt écaillés par la pluie;

sans espoir, car je ne dois pas m’enfuir,
même si le poisson hérisse ses nageoires protectrices,
même si sur la plage hivernale les embruns
projetés par des vagues toujours chaudes
me font un mur,
même si les flots
en fuyant
dispensent le fugitif
du but le plus proche.


Ingeborg Bachmann, Chants en fuite (IV) 



Extrait de la treizième lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur

Monsieur l'Écrivain

Il est en nous une source dont heureusement je ne connais le nom. En des territoires inconnus ses deux rives s'affrontent. Avec émerveillement j'observe le courant et la lutte des contraires... Dans le même temps, voyant l'ébauche que quelque mouvement à la fois de corps et d'esprit, je ne sais pourquoi, vous me félicitiez et, dans le même temps, votre bâton, dont les égarements m'étaient devenus familiers, caressait ma face et mes côtés... remodelant avec ardeur ce que sous la subite douleur je m'empressais de corriger. Vous souriiez et disiez ne faire que semblant, mais cette chaleur inégale me laissait un tel froid dans le dos qu'il se mettait à brûler. La vigueur de mon esprit, dénuée de raison d'être, incapable de donner créance à vos décadentes valeurs, s'envolait à cause et grâce à vous, en des territoires interdits. Ceux-là même que secrètement vous convoitiez...


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