jeudi 2 avril 2020

(2) Sans raison


Au sortir d’une crise si violente, après un si grand bouleversement et une tension si prolongée des esprits, la littérature s’est faite bien différente de ce qu’elle fut. On trouvait autour de soi, vers 1890, une disposition tout autre et beaucoup plus simple des ambitions et des pensées. Ce peuple d’écrivains qui dresse et agite devant chaque époque une quantité de miroirs divergents n’a plus les mêmes coutumes ni la même constitution qu’il avait. On observait alors une variété de confessions et de sectes plus nettement séparées qu’il ne s’en trouve aujourd’hui. L’adolescent qui s’essayait aux lettres et qui s’égarait tout d’abord, quelque peu ébloui d’œuvres et d’idées, ne tardait pas à discerner les partis et les doctrines qui se divisaient le présent ou se disputaient l’avenir. Bientôt, sur les degrés de l’amphithéâtre intellectuel qui s’élève de l’obscurité jusqu’à la gloire, il pouvait aisément choisir le côté de ses préférences. Toutes les factions de la politique littéraire avaient alors leurs quartiers généraux et leurs places d’armes. Il y avait encore deux rives à la Seine; sur ces bords ennemis, les salons dissertaient, les cafés résonnaient, quelques ateliers bouillonnaient du mélange écumant des arts. Même un grenier devint illustre et le seul grenier au monde capable d’une telle fécondité; il enfanta une Académie excellente qui s’accorde aimablement avec son aînée, et dont il vous plaira, messieurs, que je salue les gloires et les talents au passage.
Je ne vois pas à présent d’aussi claires catégories qu’il s’en voyait au temps de notre ingénuité. Les volontés et les systèmes s’opposaient plus exactement. Toute la nation littéraire s’ordonnait en un petit nombre de tribus selon les lois naïves des contrastes que l’on croyait exister entre l’art et la nature, le beau et le vrai, la pensée et la vie, le vieux et le neuf. Chacune de ces tribus avait son chef incontestable, je veux dire qui n’était contesté que par quelqu’un du même drapeau.


Discours de réception de Paul Valéry à l’Académie française, 23 juin 1927



Extrait des cahiers de Pinocchio, l'Autre

– Regardez, on dirait que l'eau se retire !
– Ce n’est pas sans raison... et l’eau comme le temps ne fait que passer dans ce lit déserté.
– Mais moi je ne veux pas devenir fou.
– Vous avez raison... peut-être est-il déjà trop tard.
– Pourquoi dites-vous cela ? Alors même que vous savez très bien que ces paroles me rendent fou.
– Je ne peux être tenu responsable de votre folie, mais vous pourriez apprendre beaucoup d’elle.
– Que pourrais-je apprendre de la folie ?
– Plus que de raison...
– Vous ne me tranquillisez guère.
– Telle n’est point mon intention.
– Quelle serait votre intention ?
– Je ne sais si je puis vous la dire.
– Dites, je vous en prie !
– Nous pourrions passer de l’autre côté.




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