dimanche 20 octobre 2019

(20) Évolution



"Contemple le troupeau qui passe devant toi en broutant. Il ne sait pas ce qu’était hier ni ce qu’est aujourd’hui: il court de-ci de-là, mange, se repose et se remet à courir, et ainsi du matin au soir, jour pour jour, quel que soit son plaisir ou son déplaisir. Attaché au piquet du moment il n’en témoigne ni mélancolie ni ennui. L’homme s’attriste de voir pareille chose, parce qu’il se rengorge devant la bête et qu’il est pourtant jaloux du bonheur de celle-ci. Car c’est là ce qu’il veut : n’éprouver, comme la bête, ni dégoût ni souffrance, et pourtant il le veut autrement, parce qu’il ne peut pas vouloir comme la bête. Il arriva peut-être un jour à l’homme de demander à la bête:
– Pourquoi ne me parles-tu pas de ton bonheur et pourquoi ne fais-tu que me regarder?

Et la bête voulut répondre et dire :
– Cela vient de ce que j’oublie chaque fois ce que j’ai l’intention de répondre.

Or, tandis qu’elle préparait cette réponse, elle l’avait déjà oubliée et elle se tut, en sorte que l’homme s’en étonna."

Seconde considération intempestive, Friedrich Nietzsche



Le surveillant, comme une suspension du temps ou comme un écho, se perd, se répand et dialogue infiniment avec un autre lui-même dont il ignore tout. Mais au moindre frémissement, sans qu'il y soit pour quelque chose, le questionnement repart:

– Mais alors, si cette évolution ne parle pas... que fait-elle?
– Elle agit et communique... L'important, pour elle, n'est pas le poids des mots qu'elle suscite, mais ce qu'ils signifient...
– Alors quel serait l'important pour elle?
– Je viens de vous le dire...

– Redites-le moi...
– Ce que les mots provoquent chez celui à qui elle les adresse...

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