jeudi 16 novembre 2017

Une chose incertaine


La chose n'est point certaine, mais il se pourrait que, à ce jour ou à un autre, les rêves de Nounours, qui eussent dû rester secrets, soient arrivés aux oreilles de ses maîtres. Toujours est-il que ceux-ci sont inquiets. Peut-être sont-ils même un peu en colère. Il se raconte que ceux-ci, par le plus grand des hasards, auraient eu vent que le dénommé Nounours, membre respectable par ailleurs, ne respectait pas le protocole et avait, chose rarissime et orgueilleuse, osé faire une remarque au Grand Secrétaire du Grand Mess des Officiants. Il aurait profité d'un moment favorable, une absence momentanée, pour "s'attaquer" au brave qui était de service. Dès son retour, comme il se doit, au mépris de son sommeil et de son inlassable labeur, sa Rarissime Splendeur allonge courageusement le pas, sa voix caverneuse et sa lumière. Il projette son ombre juste et droite vers le contrevenant.



– Le réfractaire est il là?
– Nous ne pouvons en être certain, mais nous le pensons....
– Sortez les bâtons, annoncez-moi et faites-moi entrer... tambours battants...
Le sol tremble, tambours et cœurs battant la chamade, le petit cortège flamboyant entre.
– Dort-il ? demande sa Rarissime Splendeur, Lumière de l'Orient.
– Vous plaisantez... euh...
Il se reprend et se tait, on ne parle pas ainsi à sa Sérénissime Grandeur, le Grand Pontifiant.
– Alors il se repose?
– Je ne le crois pas non plus.... Nos sujets n'aspirent pas au repos!
La voix est mal assurée.
– Alors que fait-il?
– Je ne n'en suis pas sûr et je n'ai pas votre autorité en la matière... vous le savez, il se pourrait qu'il rêve... enfin c'est ce qu'il nous semble...
– Il rêve! Je n'en crois pas mes oreilles. A-t'il demandé l'autorisation?
– Pas à ma connaissance...
– Réveillez-le sans délai! Je me dois de lui consacrer quelques secondes dont il devra se souvenir et de lui dire deux mots pour avoir –"avec violence"– "mis en cause" l'un de nous. En le touchant c'est moi qu'il a touché... et si le cercle est parfait, 'est lui-même qui fini par être touché. Il est grand temps d'accomplir notre devoir! Ouvrez grands les yeux et les oreilles!
Le Maître des Secrets, de sa plume, et sa Rarissime Splendeur, Lumière de l'Orient, de son bâton, "chatouillent" quelque peu Nounours qui se tourne et retourne en gémissant, se lève en somnambule et ose l'impensable...
– Il serait temps pour vous, Souverain Pontifiant et Pontifiable...
La formule n'est guère correcte, mais Nounours ne semble pas bien éveillé...
– Il serait temps de comprendre qu'il vous serait profitable de dormir un peu pour vous soulager de cette fatigue qui vous empêche de constater que votre propre réponse est à l'image de ce que vous me reprochez et, vous vous feriez grand bien, cessez de faire si vulgairement comme si vous chassiez une mouche ou une miette de pain, ce petit geste méprisant avec la main...  

Préférant considérer que Nounours, au-delà du fait que c'était là "quantité méprisable", Nounours donc, ne faisait que de continuer à rêver, sa Rarissime Splendeur, Lumière de l'Orient et Grand Pontifiant, reprend en maugréant le chemin de son travail et prononce avec emphase ces quelques mots,  aphorisme que le secrétaire s'empresse d'immortaliser:

– Laissons-le, je n'ai point de temps à perdre et j'en ai encore moins pour "tremper ma plume dans l'encrier de mon voisin, et encore moins dans le corsage de ma voisine"...

Chacun pourra imaginer ce qu'il veut. Nounours, lui, dans sa primitive candeur, n'y a rien compris. Il est vrai qu'il rêvait, ou bien, peut-être s'agissait-il d'un cauchemar... comme il peut s'en produire toutes les nuits. Et peut-être que ce cauchemar, au fond, n'était pas le sien.

– Après tout, je ne suis qu'un Nounours, un simple assemblage de fausse fourrure, de tissu et de fil. La vie que l'on me prête ne peut être que celle de celui qui l'imagine...


 


Aucun commentaire: