mercredi 15 novembre 2017

Le Grand Humoriste



" Ursus était remarquable dans le soliloque. D'une complexion farouche et bavarde, ayant le désir de ne voir personne et le besoin de parler à quelqu'un, il se tirait d'affaire en se parlant à lui−même. Quiconque a vécu solitaire sait à quel point le monologue est dans la nature. La parole intérieure démange. Haranguer l'espace est un exutoire. Parler tout haut et tout seul, cela fait l'effet d'un dialogue avec le dieu qu'on a en soi. C'était, on ne l'ignore point, l'habitude de Socrate. Il se pérorait. Luther aussi. Ursus tenait de ces grands hommes. Il avait cette faculté hermaphrodite d'être son propre auditoire. Il s'interrogeait et se répondait; il se glorifiait et s'insultait. On l'entendait de la rue monologuer dans sa cahute. Les passants, qui ont leur manière à eux d'apprécier les gens d'esprit, disaient: c'est un idiot. Il s'injuriait parfois, nous venons de le dire, mais il y avait aussi des heures où il se rendait justice. Un jour, dans une de ces allocutions qu'il s'adressait à lui−même, on l'entendit crier: J'ai étudié le végétal dans tous ses mystères, dans la tige, dans le bourgeon, dans la sépale, dans le pétale, dans l'étamine, dans la carpelle, dans l'ovule, dans la thèque, dans la sporange, et dans l'apothécion. J'ai approfondi la chromatie, l'osmosie, et la chymosie, c'est−à−dire la formation de la couleur, de l'odeur et de la saveur. Il y avait sans doute, dans ce certificat qu'Ursus délivrait à Ursus, quelque fatuité, mais que ceux qui n'ont point approfondi la chromatie, l'osmosie et la chymosie, lui jettent la première pierre."

L'homme qui rit, Victor Hugo


Nounours, à qui Alias d'Alias, a greffé de nouvelles mains, des mains de marionnettes, il faut le préciser, a bien des problème avec celles-ci. Non seulement il doit faire preuve de beaucoup de discipline te de concentration pour les faire fonctionner, mais il doit aussi faire face à des questions inattendues qui se bousculent dans sa tête et ne lui lui laissent guère de répit.



– Toutes ces questions, qui vous tourmentent tant, sont un peu comme des orages dedans...
– Vous me surprenez, cher Nounours. Seriez-vous parvenu au grade envié de Grand Humoriste à la Plume d'Or?
 – Si j'ai l'honneur de vous surprendre... c'est que je me surprend moi-même, ce qui fait que cela me surprend à mon tour... comprenez-vous?
– Je ne comprends pas...
– Vous comprendrez plus tard.
– Quand cela?
– Quand vous aurez mon âge...
– Permettez-moi une petite question...
– Je vous en prie.
– Pourquoi donc "à la Plume"?
– Parce qu'à mon âge on a appris à écrire...
– Me permettriez-vous de vous poser une autre question.
– Vous avez la parole.
– Quel âge avez-vous?
– J'ai septante-sept ans. 

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