lundi 13 novembre 2017

Les mains accompagnent les mots


" ... cette seule langue, vois-tu, jamais ce ne sera la mienne. Jamais elle ne le fut en vérité. Tu perçois du coup l’origine de mes souffrances, puisque cette langue les traverse de part en part, et le lieu de mes passions, de mes désirs, de mes prières, la vocation de mes espérances. Mais j’ai tort, j’ai tort de parler de traversée et de lieu. Car c’est au bord du français, uniquement, ni en lui ni hors de lui, sur la ligne introuvable de sa côte que, depuis toujours, à demeure, je me demande si on peut aimer, jouir, prier, crever de douleur ou crever tout court dans une autre langue ou sans rien en dire à personne, sans parler même. Mais avant tout et de surcroît, voici le double tranchant d’une lame aigüe que je voulais te confier presque sans mot dire, je souffre et je jouis de ceci que je te dis dans notre langue dite commune : « Oui je n’ai qu’une langue, or ce n’est pas la mienne. »"

Jacques Derrida, Le monolinguisme de l’autre, Galilée


Nounours, lui aussi, maintenant que "ses" mains sont celles de Pinocchio, ne sait ce qu'il doit faire. Mais surtout, il ne sait que penser. Or, selon lui, l'idée et le fait lui sont apparus brusquement, penser est devenu comme parler et, ainsi, sans qu'il ne puisse savoir pourquoi, ses mains et ses pensées se sont trouvées liées, chacune étant prisonnière des autres. Étrange mouvements circulaires qui, comme un moteur, même en plein sommeil, font que les mains accompagnent les mots. 

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