jeudi 9 novembre 2017

Un développement utile et moral


(2) suite

Pourtant quand les autres gamins passaient devant lui, Dolfi  épaulait son fusil et faisait semblant de tirer, mais sans animosité, c'était plutôt une invitation, comme s'il avait voulu leur dire:
«Tiens, tu vois, moi aussi aujourd'hui j'ai un fusil. Pourquoi est-ce que vous ne me demandez pas de jouer avec vous?»
Les autres enfants éparpillés dans l'allée remarquèrent bien le nouveau fusil de Dolfi.  C'était un jouet de quatre sous mais il était  flambant neuf  et puis il  était différent des leurs et cela suffisait pour susciter leur curiosité et leur envie. L'un d'eux dit :
« Hé ! vous autres ! vous avez vu la Laitue, le fusil qu'il a aujourd'hui ? »
Un autre dit :
«  La Laitue a  apporté son fusil seulement pour nous le faire voir et nous  faire bisquer mais il ne jouera pas avec nous. D'ailleurs il ne sait même pas jouer tout seul. La Laitue est un cochon. Et puis son fusil, c'est de la camelote !
«Il ne joue pas parce qu'il a peur de nous », dit un troisième.


Dino Buzzati : Pauvre petit garçon (1966) 




« Il devrait aller sans dire que les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. Toutefois on ne peut mettre de côté sans autre forme de procès, sans s'attarder à en discuter les raisons, le fait que le hasard fait les choses à son image et qu'à cette image nous ne saurions échapper.» 


Alias d'Alias, Al pour les intimes, a un nounours et son nounours, Nounours, pour les intimes, a, comme tous les nounours, de fausses griffes. Elles font peur à Al, pour les intimes. Pourtant ces griffes sont presque ridicules tant elles sont usées et surtout inoffensives, puisque simplement brodées. Et même plus encore: depuis longtemps, une grande partie des ces griffes a disparu. Cela ne suffit pas à notre héros, encore enfant il est vrai, mais doté d'un sens du pouvoir qui s'est déjà largement développé et promet beaucoup... Conséquence, ce jour-là, il a décidé de greffer des mains à son nounours.




– Cela lui permettra, en accord avec le Grand Nounours qui est Pure Lumière, de se comporter mieux, "de ne plus tremper sa plume dans l'encrier de son voisin, encore moins dans le corsage de ma voisine"*, de penser et dessiner selon les principes de la morale, bref de travailler mieux et ainsi de mieux se sentir intégré dans notre grande famille sans cesse renaissante.


Ô rassurez-vous, ce ne sont que peluches et marionnettes et la vie que l'on leur prête, précisément n'est que prêtée... Les mains dont il est question ne seront rien de moins que celles de Pinocchio à qui, vite fait, bien fait, un petit coup de scie, elles ont été enlevée et pour que le raccord ne puisse être vu. Recouverte de gants blancs, l'affaire sera sans taches... et avec le temps il n'y paraitra plus rien...


* Proverbe macaronique. Comprenne qui pourra. Il semblerait, mais ce ne devrait pas être un secret pour personne, que de longs et pénibles efforts soient nécessaires pour cela.


 

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