mercredi 8 novembre 2017

Une bien misérable question


(1)

"Comme d'habitude, Mme Klara emmena son petit garçon, cinq ans, au jardin public, au bord du fleuve. Il était environ trois heures. La saison n'était ni belle ni mauvaise, le soleil jouait à cache-cache et le vent soufflait de temps à autre, porté par le fleuve. 
On ne pouvait pas dire non plus de cet entant qu'il était beau, au contraire, il était plutôt pitoyable même, maigrichon, souffreteux, blafard, presque vert, au point que ses camarades de jeu, pour se moquer de lui, l'appelaient Laitue. Mais d'habitude les enfants au teint pâle ont en compensation d'immenses yeux noirs qui illuminent leur visage exsangue et lui donnent une expression pathétique. Ce n'était pas le cas de Dolfi ; il avait de petits yeux insignifiants qui vous regardaient sans aucune personnalité .
Ce jour-là, le bambin surnommé Laitue avait un fusil tout neuf qui tirait même de petites cartouches, inoffensives bien sûr, mais c’était quand même un fusil ! Il ne se mit pas à jouer avec les autres enfants car d'ordinaire ils le tracassaient, alors il préférait rester tout seul dans son coin, même sans jouer. Parce que les animaux qui ignorent la souffrance de la solitude sont capables de s'amuser tout seuls, mais l'homme au contraire n'y arrive pas et s'il tente de le faire, bien vite une angoisse encore plus forte s'empare de lui."


Commencement de la nouvelle de Dino Buzzati : Pauvre petit garçon (1966)



Il arrive, dans toutes les histoires, des faits dont on ne se souvient pas bien. Il arrive aussi que ces faits, nous aimerions ne pas nous en souvenir ou encore, mais à l'inverse, il arrive que nous n'arrivions pas à les oublier. Le plus souvent, l'intérêt général, qui prime presque toujours, pousse à l'oubli. C'est tellement plus simple... C'est ainsi que dans l'allégresse des jours nouveaux, ceux dont on va se souvenir, ceux que l'on va marquer d'une pierre blanche, on enterre, dans l'ombre de cette pierre lumineuse, sans bruit, sans fanfare et sans trompette, ceux, honteux enfants du carnaval, ceux qui dérangent et dont on se demande quand, enfin! ils accepterons de devenir "comme nous"... Il est arrivé que Nounours, n'ayant point pris l'exacte mesure du Maître des Lieux et du Renouveau, l'une de ses très nombreuses appellations, se laisse aller à un questionnement qui sera considéré comme incorrect:

– Y-a-t'il un sens à considérer que nous tous, y compris Votre Très Présente  Présence, pourrions ne pas être ce qu'elle nous enseigne?

Chacun de nous peut être conscient du danger que peut représenter de poser une telle question. Chacun avait entendu que la question contenait, pour le moins, une hypothèse, si ce n'est une affirmation.  Pour commencer, fidèle à lui-même, cela le fit sourire. Et puis il eut cette réponse énigmatique, pour le moins... et pour le plus, caché dans les replis ombrageux de la voix, quelques souvenirs enterrés-vivants...

– Ce que je veux vous dire et que vous allez entendre est que tout cela n'est point vengeance mais transmission. 

De quoi parlait-il? Quels étaient donc ces événements qui eussent pu susciter une vengeance et qu'il considère lui comme une transmission?


Aucun commentaire: